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mercredi 25 décembre
Inaliénabilité et liberté : la voie de l’abolitionnisme contre la loi du marché

Inaliénabilité et liberté : la voie de l’abolitionnisme contre la loi du marché

Inaliénabilité du corps humain : le refus de la marchandisation du corps est au cœur de l’engagement socialiste. Il se situe à l’intersection entre la défense de la liberté individuelle et la promotion de l’égalité absolue des êtres humains, et conjugue la lutte contre le capitalisme et celle contre le patriarcat.

La liberté de disposer de son corps, support de nos pensées, de nos expressions politiques, de notre mobilité, de l’ordinaire du quotidien permet à chacun.e d’entre nous d’évoluer, protégé.e de l’arbitraire de la coercition physique. Le rapport d’égalité que nous affirmons comme composante essentielle d’une société démocratique, juste et en capacité de répondre aux attentes de tou.te.s implique fondamentalement qu’il n’est pas possible d’acheter le corps d’un.e autre.

Violation mondiale des droits humains et de la dignité des femmes - et des hommes - qui en sont victimes, le système prostitutionnel organise l’exploitation des personnes les plus vulnérables et leur inflige violences sexuelles et tortures parfois jusqu’à la dissociation traumatique. Il s’agit d’un pan majeur du crime organisé à l’échelle de la planète, vecteur de trafic des êtres humains. Le système prostitutionnel repose sur la traite des personnes et génère, pour les proxénètes, des profits considérables.

Socialistes, nous sommes abolitionnistes parce que nous refusons que les forces de l’argent président aux destinées individuelles et intimes. Nous sommes abolitionnistes parce que dans le patriarcat, permettre l’achat ou la location des corps c’est permettre aux hommes d’acheter les femmes. Nous sommes abolitionnistes parce que dès lors qu’une femme ou un homme voit sa liberté remise en cause par la marchandisation du sexe, alors aucun.e d’entre nous n’est vraiment libre. Nous ne serons pas libres tant que l’argent des hommes pourra acheter la précarité des femmes.

1. La loi de 2016, une victoire féministe qu’il nous faut continuer à défendre

Nos parlementaires socialistes et féministes ont porté avec constance et exigence une réforme législative visant à accompagner les victimes du système prostitutionnel et à pénaliser les clients, alors que la loi de 2003, dite « Loi Sarkozy », interdisait la prostitution en pénalisant les personnes prostituées. Grâce à la loi abolitionniste du 13 avril 2016, le stigmate a changé de camp : désormais, les personnes prostituées sont accompagnées et ne peuvent plus être poursuivies au titre du délit de racolage passif. Aujourd’hui, ce sont les clients et les proxénètes qui sont pénalement répréhensibles. Ce n’est pas anodin : c’est une profonde révolution dans notre manière de percevoir les rapports de domination dans la prostitution. Les personnes prostituées, y compris étrangères, sont protégées et soutenues, car elles sont reconnues comme des victimes du système prostitutionnel. Un accompagnement spécifique, assuré par les associations spécialisées, est installé via les parcours de sortie de la prostitution.

La loi de 2016 était l’aboutissement d’années de mobilisation abolitionniste des féministes et des survivantes pour faire reconnaitre le recours à la prostitution comme une violence patriarcale, pour enfin prendre en compte la parole des victimes, pour prendre la mesure des viols, des pratiques humiliantes, des tortures et des coups infligés par les clients et les proxénètes aux femmes attirées dans le système prostitutionnel, et la traite des êtres humains qui en est le corrolaire. Cette loi n’abolit pas la prostitution : elle pose l’abolition du système prostitutionnel comme objectif et met en place des outils et des moyens, autres que la pénalisation des personnes prostituées.

Cependant, la volonté politique qui a présidé aux débats parlementaires et à l’adoption de cette loi n’a pas été au rendez-vous de la protection des victimes et de l’application de l’ensemble des dispositions d’accompagnement. Plus de 6 ans après son adoption, les commissions départementales ne sont toujours pas installées sur l’ensemble du territoire : on compte à l’été 2022 87 commissions départementales, dont seulement 51 ont mis en place des parcours de sortie de la prostitution. 790 victimes de la prostitution - seulement - en ont bénéficié.
De même, si, depuis 2016, les personnes prostituées ne bénéficiant d’aucune allocation peuvent obtenir une aide financière pour la réinsertion sociale et professionnelle, le montant de celle-ci est considéré comme insuffisant. Enfin, les moyens manquent pour ouvrir des parcours de sortie de la prostitution et pour la prévention, en particulier en direction des jeunes.

Or, le temps presse pour convaincre les victimes que les pouvoirs publics les protègent et les soutiennent : polymorphe, la prostitution s’est largement installée sur les réseaux sociaux, et davantage encore depuis le confinement. Elle recrute désormais, grâce à des réseaux de proxénétisme, de nombreuses victimes parmi les jeunes filles mineures, en particulier celles qui sont en situation de précarité, d’errance éducative et sociale.
Ainsi, l’application effective et protectrice de la loi de 2016 est aussi devenue un enjeu de protection de l’enfance.

Socialistes, féministes, nous devons continuer à réclamer les ressources adéquates pour construire une société sans prostitution, qui abolisse la marchandisation du corps des femmes et protège les victimes actuelles ou futures du système prostitutionnel des violences sexuelles qu’elles subissent ou subiront, du sentiment d’être étrangères à leur corps, de la dissociation d’elles-mêmes, de la rupture avec l’amour de soi et des chaînes produites par la conjoncture misogyne du capitalisme et du patriarcat.

2. Pilier de la culture du viol, la prostitution ne saurait être perçue comme un outil d’empowerment

La tâche est d’autant plus pressante que nous subissons de la part des partisans du “travail du sexe” une opération d’envergure de banalisation et de requalification de la prostitution comme un levier de liberté pour celles et ceux qui vendent leurs corps, au nom de la liberté d’entreprendre et des possibilités d’exercer de manière autonome, dans une société financiarisée où tout semble pouvoir se monnayer et se consommer. C’est notamment ce que permet aujourd’hui Internet et la prolifération des plateformes telles qu’OnlyFans, SexModel ou MYM, qui habillent d’un discours féministe ce qui est en réalité une nouvelle forme d’objectification du corps des femmes.

Ce discours axé sur la liberté et l’empowerment- “je suis libre d’utiliser mon corps comme je le souhaite, toute tentative de régulation est liberticide et dangereuse pour les prostituées” - se targue de faire de la prostitution un outil peu contraignant voire séduisant pour récupérer l’argent des hommes. Il est fortement porté sur les réseaux sociaux par des profils parfois très suivis, et accompagné d’une militance minoritaire et mouvante qui défend la marchandisation du corps, de services sexuels ou à connotations sexualisées, sous couvert de dénonciation d’un système oppressif, que l’oppression vienne du patriarcat, de l’hétérosexualité, des personnes cisgenres, de l’ultra-libéralisme ou bien d’un féminisme “blanc”. Dans ce militantisme, la liberté est la clé de voûte de la lutte contre les schémas de dominations croisées. La figure du ou de la travailleuse du sexe peut être perçue pour ces générations comme un symbole de liberté et d’argent à la fois facile et indolore, bien éloignée des réseaux de traite des êtres humains qui agissent dans la clandestinité, et de la réalité des témoignages des survivantes de la prostitution.

Or ce discours est particulièrement attractif pour les générations qui ont grandi avec les réseaux sociaux, l’éducation sexuelle par la pornographie gratuite accessible de leur ordinateur ou de leur smartphone, les interactions avec les influenceurs et influenceuses, une routine de l’atténuation voire de la disparition de l’intimité et une exposition habituelle à des standards de beauté glorifiant la sexualisation des corps.

3. La tarification du corps par l’industrie pornographique, à l’intersection du capitalisme et de la haine misogyne

Notre pays a pris conscience avec consternation et effroi de ce que les mouvements féministes affirmaient à plus ou moins bas bruit jusqu’ici : l’industrie pornographique est un écran de fumée qui dissimule - à peine - des pratiques de tortures et de violences sexuelles filmées. Les scènes capturées par l’oeil de la caméra pour l’excitation sexuelle du consommateur de pornographie, dont a témoigné Le Monde en janvier dernier et plus récemment la délégation sénatoriale aux droits des femmes dans son rapport L’Enfer du décor, sont indicibles : ce sont en réalité bien les femmes qui sont captives d’un système industriel d’humiliations, de mauvais traitements, de haine misogyne et de violences sexuelles collectives.

Davantage que des exactions perpétrées par des individus pris isolément, ces drames du sexe violent tarifé sont le marqueur d’une industrie mondiale, qui vise avant tout à faire du profit en consommant des “actrices” peu voire pas informé.e.s (mensonge ou omission délibérée) des pratiques qui vont leur être infligées et du niveau de diffusion des vidéos.
Ne nous y trompons pas : la pornographie n’a rien du cinéma amateur et pionnier de la libération sexuelle qu’elle prétend être sous couvert de liberté de création. Il s’agit désormais d’un réseau mondialisé, qui capitalise sur une proportion majeure des flux internet et qui vise avant tout à monnayer chaque clic, chaque visualisation, chaque bannière de publicité. Les bénéfices des plateformes sont colossaux. Et l’opacité du système protège les profiteurs des violences sexuelles infligées aux femmes dans les contenus.
En effet, violences et visibilité s’auto-alimentent dans une spirale destructrice : le hard, le trash, les pratiques de soumission et d’humiliation vont croissants, pas seulement pour répondre aux attentes des consommateurs mais bien pour augmenter leur temps de présence sur les plateformes, en somme pour les captiver par la violence, et en tirer d’autant plus de revenus.

Le développement de l’industrie pornographique, conjugué à une banalisation des violences masculines dans la sexualité, ne sont pas sans conséquences. Cette dynamique renforce la culture du viol, elle consomme brutalement les femmes dans les vidéos et se répercute sur toutes les autres, qui subissent à leur tour des pratiques sexuelles violentes considérées par les clients du porno comme la nouvelle norme - la nouvelle mode - de leur sexualité.

L’accès significatif des adolescent.e.s à la pornographie signifie également que cette industrie et toutes les représentations sexistes, racistes, incestueuses et haineuses qu’elle véhicule façonne leur manière d’appréhender les relations entre les femmes et les hommes sur le long terme, et ce alors même que l’éducation à la sexualité et à la vie affective à l’école est un échec, comme l’a reconnu récemment l’Inspection générale de l’éducation nationale - un constat accablant mais peu étonnant, le Haut conseil à l’égalité étant parvenu en 2016 à la même conclusion, sans que des mesures efficaces soient prises par la suite.

4. Abolitionnistes toujours, pour combattre la conjonction des forces de l’argent et du patriarcat

La pornographie est une arme au service du camp social qui se repait du racisme, du sexisme, de la misogynie, de la soumission des femmes, et de l’exaltation d’une masculinité virile et brutale. Socialistes, féministes, abolitionnistes, notre responsabilité et notre solidarité doivent se porter vers les victimes.

Nous ne pouvons plus détourner le regard des ravages que la marchandisation du corps des femmes produit, tant dans la prostitution que dans l’industrie pornocriminelle. Nous devons les considérer sèchement à l’aune de ce qu’elles portent : d’abord, en affirmant que le corps des femmes peut s’acheter et qu’à ce titre, la liberté des femmes est monnayable ; ensuite, en banalisant la violence sexuelle, subie par certaines dans ses formes les plus extrêmes, elles légitiment la perpétuation desdites violences par les hommes, y compris ceux qui ne sont ni consommateurs ni clients, mais simplement irrigués par la normalisation de la haine des femmes.

C’est la raison d’être de cette contribution : l’apport fondamental de la loi de 2016 n’est qu’une étape et nous devons poursuivre avec détermination notre mobilisation sociale et culturelle face aux multiples vecteurs de la soumission des femmes par les hommes, et face à leur cortège de viols, d’agressions sexistes, d’humour gras et de fascination envers l’objectivation des femmes.

Résolument féministe et abolitionniste, notre parti doit s’inscrire dans cette lutte acharnée face aux forces de l’argent et du patriarcat. Aux côtés des associations spécialisées, nous soutenons les victimes et les survivantes du système prostitutionnel et de l’industrie pornographique. Par nos mandats et nos responsabilités politiques, élu.e.s et militant.e.s féministes, nous défendrons l’abolitionnisme tant sur le plan légal que sur le terrain, par l’accompagnement des victimes et le refus des discours assimilant la marchandisation du corps à une liberté individuelle.
Le corps des femmes ne se marchande pas, la liberté de toutes est à ce prix.

Contributrices : Yseline FOURTIC-DUTARDE (94, Cachan), Cécilia Gondard (FFE, Bruxelles)

Premières signataires : Yseline FOURTIC-DUTARDE (94, Cachan, Référente sur les violences sexuelles et sexistes, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes), Cécilia GONDARD (FFE, Bruxelles, Secrétaire nationale aux droits des femmes), Audrey GATIAN (13, Marseille, Maire-adjointe, Secrétaire nationale adjointe aux mobilités), Yasmine EL JAÏ (75, Paris), Sarah KERRICH (59, Lille, Première fédérale), Amély HEBEL (75, Paris), Jacqueline DEVIER (06, Nice, Secrétaire fédérale à l’égalité femmes-hommes), Céline THIEBAULT-MARTINEZ (BF et SF 77, Lieusaint Combs-La-Ville), Estelle PICARD (79, membre du Conseil national), Véronique BARREAU (84, Co-secrétaire aux droits des femmes), Christelle BERENGER (41, Blois, Maire-adjointe), Christelle CHARRIER (86, Conseillère municipale et Référente contre les violences sexistes et sexuelles), Dominique RAMUSCELLO (81, Secrétaire de section, élu local), Emma BOIZOT (43, Animatrice fédérale et membre du BN des JS), Olivier BRACQUE (Andorre), Flore-Faty ZEBIR (75, Paris), Annie MICHEL (FFE, Conseillère des français de l’étranger), Laure BOTELLA (95, Secrétaire de section)

Signataires :

Pour signer :
https://forms.gle/sYawhygifK2AaGVp8




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