Né essentiellement dans les villes, le mouvement socialiste a difficilement pénétré dans les campagnes. De part et d'autre, la méfiance est de rigueur : méfiance des agriculteurs vis à vis des "partageux" qui veulent "collectiviser les terres", mais méfiance également des socialistes qui considèrent souvent les agriculteurs comme des "Chouans" endoctrinés par les nobles et les prêtres. Tout au long de la première moitié du 20 ème siècle, les socialistes vont tenter de faire passer leurs idées dans les campagnes, souvent par obligation mais aussi par conviction. Ainsi, à partir du moment où la SFIO accepte le jeu démocratique, elle doit présenter des candidats partout, y compris dans les circonscriptions les plus rurales.
Une lente évolution
La guerre de 14 et l'Union Sacrée contribuent à rétrécir le fossé entre les socialistes et le monde agricole. Dans les tranchées, les soldats de tout le pays se côtoient : agriculteurs et ouvriers se retrouvent sous le même uniforme et des hommes qui ne se seraient sans doute jamais rencontrés partagent la même vie.
La scission de 1920 marque une nouvelle étape : en effet la SFIO se démarque du PC et de sa propagande collectiviste, largement rejetée dans les campagnes. De plus le parti de Léon Blum doit, pour compenser la baisse des effectifs, rechercher des militants dans de nouveaux milieux.
Enfin, la crise des années 30 contribue à ouvrir les yeux de nombreux agriculteurs qui comprennent, qu'ils sont, à l'instar des ouvriers, victimes du système capitaliste qui doit être réformé.
Jean le Roux, né à Ergué Gabéric en 1922 fait partie de cette génération de "paysans socialistes" même si, dans sa famille, les convictions de gauche étaient bien ancrées : son père fut excommunié par le curé d'Ergué Gabéric, pour avoir refusé de transporter gratuitement les pierres nécessaires à la construction de l'école privée des filles. " Il n'était pas de bon ton d'être de gauche dans le milieu paysan" explique Jean Le Roux.
Mais cela ne l'empêche pas, en 1938, sur les conseils d'un de ses professeurs, d'adhérer à la SFIO. Au mois de septembre de cette année, au congrès de Châteaulin, il fait la connaissance de Tanguy Prigent.
Député SFIO depuis 1936, celui-ci était à l'époque très impliqué dans le monde agricole : il met en place, avec une poignée de camarades agriculteurs, la "coopérative paysanne" qui tente d'organiser les agriculteurs face à la toute puissance des syndicats de droite.
Le statut du fermage
Mais c'est avec le statut du fermage que Tanguy Prigent s'impose comme une grande figure du monde agricole et contribue à réconcilier la gauche et le monde rural.
Jusqu'à la guerre, les petits agriculteurs, fermiers ou métayers, étaient sous la coupe de leurs propriétaires qui pouvaient tous les ans, à la Saint Michel, renvoyer leurs locataires.
En arrivant au ministère de l'agriculture en 1944, Tanguy Prigent prend l'initiative de créer le "statut du fermage" afin de codifier les relations entre locataires et propriétaires. Il s'agit aussi de permettre la modernisation des campagnes : comment, en effet, les agriculteurs auraient-ils pu investir en ne sachant pas, le sort qui leur serait réservé à la fin du mois de septembre ?Le statut du fermage comporte 10 points essentiels : l'obligation d'un contrat écrit et d'un état des lieux entre le locataire et le propriétaire, une durée minimale de 9 ans pour les baux, l'obligation pour le propriétaire d'assurer les grosses réparations ; l'interdiction de dépasser un loyer maximal fixé par le préfet ; le renouvellement automatique du bail, sauf si le propriétaire ou ses enfants souhaite devenir agriculteur ; l'obligation de donner congé, par huissier, 18 mois à l'avance ; la priorité, pour les locataires en cas de vente et enfin la mise en place de tribunaux paritaires des baux ruraux composés de propriétaires et de locataires.
La mise en place de ce statut eut un énorme impact dans les campagnes, et contribua grandement, tout comme la création des foyers ruraux, à réduire le fossé qui existait entre le monde agricole et les socialistes.
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