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mercredi 25 décembre
Réhabiliter le lycée professionnel : une urgence

En 2016, dans un dossier sur l’enseignement professionnel, Nathalie Mons – alors présidente du CNESCO – Conseil National à l’Évaluation du système scolaire – décrivait des "lycées professionnels ghettos, ségrégués socialement, éthiquement et selon le sexe".
Une réalité malheureusement toujours d’actualité en 2022 : le lycée professionnel ne parvient pas à se départir d’une image d’un lycée « voie de garage » où ne vont que les élèves qui ne peuvent aller en lycée général ou technologique, eux, qui, dit-on " ne sont pas fait pour les études". Ce constat traduit une caractéristique forte de notre système éducatif : le tri social dans lequel l’origine de naissance prédétermine la trajectoire scolaire des élèves.
C’est ainsi que sur les 650 000 lycéens professionnels – soit 1/3 de notre jeunesse- 70% sont enfants d’ouvriers, d’inactifs ou d’employés et 60% d’entre eux accumulent au moins un an de retard scolaire.

ENSEIGNEMENTS FONDAMENTAUX : UNE RÉGRESSION SANS PRÉCÉDENT
La réforme du lycée professionnel engagée par le Président de la République, menée tambour battant sans aucune concertation, va contribuer à aggraver cette dévalorisation de l’enseignement professionnel.
En diminuant les volumes horaires des enseignements fondamentaux pour les lycéens professionnels en 2019- rabaissé de 34h à 30h30 hebdomadaires - le gouvernement précédent avait déjà marqué son renoncement à considérer les lycéens de lycée professionnel sur un même pied d’égalité que ceux des lycéens généraux et technologiques.
Avec la réforme annoncée récemment par E. MACRON, c’est un nouveau coup porté à la démocratisation de la réussite avec une volonté de déscolariser plus encore les élèves : la décision qui consiste à fixer localement des volumes horaires disciplinaires liés aux enseignements généraux remet profondément en question le caractère national du diplôme qui dorénavant dépendra fortement de l’établissement ainsi que du territoire.
De plus, cette nouvelle diminution des horaires d’enseignement du fait du doublement des stages va impacter très directement les postes d’enseignants dont 8000 à 10 000 devraient être amenés à disparaître, soit 1 enseignant de lycée professionnel sur 6 !
Au nom de quel principe républicain les lycéens de la voie professionnelle- majoritairement issus des milieux les plus modestes et souvent en difficultés scolaires – auraient-ils moins besoin des enseignements fondamentaux que leurs camarades des voies générale et technologique, alors même que ses enseignements fondamentaux ont pour vocation de permettre aux lycéens d’apprendre à penser, à devenir de futurs citoyens critiques et éclairés sur le monde dans lequel nous vivons ?
Avec la réforme du BEP, le Baccalauréat Professionnel a été ramené à 3 ans. Si on enlève les 22 semaines prévues pour les Périodes de Formation en Milieu Professionnel (PFMP), on constate que l’année supprimée manque à l’apprentissage des fondamentaux.Ce manque est d’autant plus important que le Baccalauréat professionnel permet l’entrée à l’université.
Les jeunes ne sont pas prêts et n’ont pas le temps nécessaire à l’acquisition des codes demandés en formation universitaire. Ainsi de nombreux jeunes s’inscrivent à l’université mais ne terminent pas le cursus. De même, les universités déplorent ce nombre d’étudiants à absorber au niveau bien inférieur à celui requis.C’est pourquoi il conviendrait de prévoir -pour celles et ceux qui en ont besoin- une année supplémentaire en lycée professionnel, une année de préparation à l’entrée à l’université.

RÉGULATION ET LIBÉRALISATION : L’ENTREPRISE N’EST PAS L’ÉCOLE
Le doublement du temps de stage – qui diminue de fait le temps de formation au lycée ainsi que la possibilité pour les jeunes de bénéficier de projets artistiques, culturels et sportifs dont ils sont généralement éloignés- marque une volonté affirmée de l’actuel gouvernement de livrer les lycéens aux besoins des entreprises en imposant subrepticement une alternance école/entreprise en classe de terminale.
D’autre part, l’adaptation de la carte des formations aux bassins d’emplois mise en avant par le Président de la République a de fait été engagée par Jean-Michel BLANQUER sans donner de résultats probants.
La volonté assumée du Président de la République de mettre à bas les cadres de références nationaux des enseignements en même temps que le statut des professeurs de lycée professionnel constitue une dérégulation qui marque une inflexion libérale majeure de l’enseignement professionnel.
Cette inflexion est confirmée avec le placement de l’enseignement professionnel sous la double tutelle du ministère de l’Éducation Nationale et de celui du Travail avec très probablement une gestion du personnel à terme par les Régions, au nom de leur compétence en matière de formation.
C’est aussi un changement majeur des finalités de notre système éducatif qui place au premier plan l’employabilité de nos lycéens au détriment de leur formation générale et de leur épanouissement.
Nous réaffirmons que les lycées professionnels ne peuvent avoir pour seul objectif l’emploi immédiat des bacheliers,ils doivent aussi former à la citoyenneté et permettre l’évolution sociale et professionnelle tout au long de la vie.
Les PFMP sont obligatoires pour l’obtention du diplôme. Mais force est de constater qu’il n’est pas toujours facile de trouver des entreprises accueillantes d’autant plus pour des jeunes issus de Quartier Prioritaire souvent victimes de discrimination liée à leurnom ou à leur lieu de résidence.On peut craindre que la réforme qui fait une très grande place au bon vouloir des entreprises renforcera cette difficulté.

LE LYCÉE PROFESSIONNEL QUE NOUS VOULONS
En tant que socialistes, nous militons pour un lycée professionnel réhabilité, re-légitimé au sein duquel les enseignements fondamentaux retrouvent toute leur importance.
Le nombre de places dans les lycées professionnels doit être revu à la hausse tout comme celui des filières de techniciens supérieurs afin, notamment, de permettre la poursuite ou la reprise de formation des jeunes dont les contrats d’apprentissage ont été rompus ou dont le projet d’insertion professionnelle est remis en cause.
Réaffirmons que l’apprentissage ne peut-être l’alpha et l’oméga du devenir de l’enseignement professionnel : ce sont en effet majoritairement des apprentis de l’enseignement supérieur (IUT, BTS, Licence et Master Pro) qui génèrent l’augmentation exponentielle de l’apprentissage. Mais rappelons qu’en matière de réussite aux examens, de taux d’accès aux diplômes, de poursuite des études, ou encore de lutte contre le décrochage, l’enseignement professionnel obtient de bien meilleurs résultats que les Centres de Formation et d’Apprentis.

En matière d’orientation, des pistes doivent être explorées et pour certaines renforcées : l’orientation ne devrait plus s’attacher à une orientation axée sur les seuls savoirs mais également sur les compétences et permettre la mise en place de filières courtes. L’orientation des bacheliers professionnels et technologiques dans des filières dédiées devrait être favorisée.

C’est en amont du collège que l’orientation devrait être préparée en créant les conditions de l’échange avec les familles et les élèves. La disparition des Centres d’Information et d’Orientation engagée par le gouvernement et le manque de recrutement des psychologues de l’Education Nationale constituent une aberration. L’adolescence est le théâtre de nombreux remaniements psychiques, la place des psychologues en milieu scolaire est un enjeu d’égalité des chances.

Rappelons que l’état alarmant de la santé psychique des jeunes est relevé par de nombreuses études et professionnels, la prise en compte de la santé mentale par l’Education Nationale doit donc être au cœur d’un projet émancipateur pour une école coopérative, égalitaire et humaniste que les socialistes portent depuis toujours.

Plusieurs pistes de transformation et d’amélioration nous apparaissent essentielles pour redonner à nos lycées professionnels la légitimité qui est la leur au cœur de notre système éducatif :

- La sécurisation et la mixité des parcours par le développement des dispositifs passerelles entre LEGT et LP,
- La création de modules de mise à niveau dans les enseignements professionnels permettant aux bacheliers professionnels de réussir la poursuite de leurs études,
- Le développement de parcours mixtes entre voie scolaire et voie d’apprentissage,
- La mutualisation des plateaux techniques (lycées technologiques ou professionnels, CFA…) pour optimiser la maintenance et les investissements des collectivités,
- La mise en adéquation des formations et des besoins en emplois nécessite par ailleurs une véritable anticipation aujourd’hui déficiente. Il y a urgence à identifier clairement les filières à développer.
- Chaque élève, quel que soit son lieu de vie, doit pouvoir accéder à une formation professionnelle de son choix et toutes et tous doivent bénéficier d’un cadrage national des volumes horaires disciplinaires : les ouvertures et fermetures de filières ne peuvent être décidées au seul prisme des besoins locaux et immédiats des entreprises de proximité.
- On constate qu’un jeune admis en Lycée Professionnel dans un Quartier Politique de la Ville, a souvent effectué toute sa scolarité dans ce même quartier (école maternelle, primaire, collège, lycée professionnel). Pour lutter contre cette « assignation à résidence » et le sentiment d’injustice qui en découle, la carte scolaire devrait évoluer en proposant le plus souvent possible une affectation en lycée professionnel dans une commune différente de celle du lieu de résidence du jeune. Cela suppose la mise en place de mode de transport adéquate pour favoriser cette mobilité.Il découvrirait alors un champ plus large, la possibilité de mise en stage dans d’autres entreprises que celles de son environnement immédiat , la mobilité, et l’ouverture sur un avenir possible en dehors de son quartier.
- Le statut des enseignants des lycées professionnels est à revoir impérativement. En effet, cet enseignement est bien différent de celui du lycée général. En raison de son public, bien spécifique et en difficulté, l’enseignant doit aussi faire face à des problématiques sociales, de santé, de situation de handicap, de conflits....L’enseignant se trouve bien seul au regard du manque de travailleurs sociaux, d’infirmier.e.s , de médecins et de psychologues dans les établissements.
En outre, au delà de l’enseignement traditionnel, ses tâches sont multiples : recherche de lieux de stages, mise en stage et suivi du stage, relations avec les entreprises, recherches de taxe professionnelle, contrôle en cours de formation, évaluations, dossiers spécifiques pour les jeunes en situation de handicap, accueil des AESH, responsabilité de l’examen et du diplôme, orientation, élaboration de projets pédagogiques multiples, professeurs de spécialité obligatoirement professeur principal de la classe...Une véritable fonction de cadre déconsidérée.
- Une revalorisation salariale serait un minimum mais il faudrait aussi valoriser le statut des enseignants en communicant mieux sur la réalité de ce métier. La formation continue des enseignants des lycées professionnels est à renforcer afin de de permettre une prise en compte de ses enjeux multiples.
La mise en place de lycées regroupant au sein d’un même établissement les filières générales, technologiques et professionnelles permettrait également de développer une culture commune en balayant les a priori et les clichés qui depuis trop longtemps entachent l’image des lycées professionnels. De la même manière les enseignants de lycée professionnel devraient pouvoir suivre des formations commune avec leurs collègues des lycées généraux et technologiques.
- Si les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) apparaissent un bon moyen de relier l’enseignement théorique et pratique, il serait nécessaire que ces périodes soient rémunérées. En effet, les jeunes en formation ne doivent pas se substituer au manque de personnel des entreprises. Le jeune doit être tutoré et encadré sérieusement. Il pourrait ainsi découvrir l’importance de la rémunération du travail.En outre, cette rémunération à adapter pourrait répondre à la précarité financière dans laquelle se trouve bon nombre de ces jeunes.

Au final, nous socialistes réaffirmons que la dérive libérale qui consiste à privilégier l’employabilité des lycéens dans le milieu de l’entreprise doit être stoppée en garantissant le maintien du statut scolaire des élèves, un rééquilibrage des contenus en faveur des enseignements fondamentaux et un système d’orientation qui ne soit plus être subi mais choisi.

Pierre angulaire de notre système éducatif, l’égalité des possibles ne deviendra réalité qu’avec un lycée professionnel et des enseignants réhabilités, un lycée professionnel au sein duquel les lycéens –souvent issus des milieux populaires- pourront s’épanouir et s’émanciper, un lycée professionnel qui vise la maîtrise des savoirs professionnels et généraux, un lycée professionnel valorisant et garant du droit à la réussite pour toute notre jeunesse.

- Premier signataire : Yannick TRIGANCE, Secrétaire national à l’école, à l’éducation et a l’accès aux savoirs.
- Membres de la commission nationale éducation : Michel CANET (92), Ingrid BERTHOU (29), Michèle EDERY (69)

https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLScBKhmmFmJDrgI6Y-aM17Qan701KmVdbjKLtvecln_fB3G2QA/viewform




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