Dans un article publié le 9 avril 1955, 50 ans après la création officielle de la Section française de l'Internationale Ouvrière SFIO, dans le Breton Socialiste (1), Hippolyte Masson, sénateur à l'époque, explique dans quelles conditions fut créé la SFIO dans le Finistère.
" La fédération socialiste de Bretagne qui précéda l'Unité vit sa naissance dans la Loire Inférieure [ NDLR : la Loire Atlantique aujourd'hui ], département en partie sous le joug de puissants hobereaux.
Charles Brunelière, fondateur du Parti Ouvrier Nantais, créé en 1888, fut en même temps son animateur, ainsi que quelques autres dont Henri Gautier qui, chassé de tous les ateliers, se réfugia à la maison du Peuple dont il fut le meilleur des gérants et des propagandistes.
Ce fut au congrès socialiste régional de Nantes, tenu en 1900, que la fédération de Bretagne se forma en réunissant dès le début 18 groupes et 70 organisations coopératives ou syndicales. Les groupes de Morlaix, de Carhaix, de Rennes et Lorient furent les premiers à envoyer leur adhésion.
"Les autres congrès de la fédération socialiste de Bretagne se tinrent à Morlaix, Rennes, Lorient, Saint-Brieuc, Brest et encore Saint-Brieuc pour le dernier en 1907.La première manifestation de la fédération socialiste de Bretagne se déroule le 3 avril 1900. Ce jour là, à Brest, Jean Jaurès et Aristide Briand animent " une grande réunion publique et contradictoire" à la salle de Venise devant près de 2000 personnes. Le 5 avril c'est à la salle du commerce, à Morlaix, à l'invitation d'Yves Le Febvre (voir portrait) que les 2 orateurs interviennent.
En novembre 1909, Jean Jaurès revint à Brest et fit un discours dans la même salle devant un public aussi nombreux." La fédération bretonne adhéra au Parti Socialiste Français sans rompre ses relations avec les autres organisations régionales. Elle se déclarait autonome, disait-elle, pour aboutir plus rapidement à l'unité de toutes les forces socialistes françaises, ce qui ne l'empêchera pas d'ailleurs, comme on le verra plus tard de bouder cette unité quand elle se réalisa en 1905.Dans le Finistère, c'est de Brest que, après quelques tentatives sporadiques, partit le mouvement socialiste entraîné par un petit noyau de militants d'une commune voisine, Lambézellec, qui déjà en 1884 avaient fait élire un des leurs au conseil municipal."
Hippolyte Masson fait ici allusion à Jacques Gouzien, dessinateur puis contremaître à l'arsenal qui fut élu conseiller municipal de Lambézellec le 11 mai 1884 avec 575 voix sur 1150 votants.
En 1904, l'élection dans la grande cité maritime de la liste républicaine socialiste qui passa toute entière eut un retentissement considérable. Présidée par un artisan horloger, Aubert, la municipalité se trouva immédiatement en lutte très âpre et sans ménagement avec les autorités civiles et maritimes. Parmi les sections qui se formèrent après ce succès, citons : Concarneau, Le Huelgoat, Landerneau, Pont l'Abbé, le Relecq Kerhuon, le Guilvinec, Lanmeur, Quimper, Quimperlé et Saint Pol de Léon, en pleine "terre des prêtres". D'autres, comme Carhaix et Morlaix, cités de coopératives, existaient déjà depuis longtemps. Notons également que ce fut au Finistère que revint l'honneur d'envoyer plus tard - en 1910 - à la chambre, le premier député socialiste de Bretagne : Emile Goude, organisateur de grande valeur ( voir encadré ). (…) Telle était la situation (…) avant l'Unité.
Au moment où elle se réalisa, en 1905, au congrès du Globe, où, en compagnie de quelques camarades j'assistais "en observateur", la fédération bretonne, jalouse de son autonomie, tint à la conserver.
Ce ne fut que deux ans plus tard, en juillet 1907, à son congrès de Saint Brieuc qu'après de longs débats, comprenant qu'il était de son devoir de rejoindre la grande famille socialiste, elle décida de se dissoudre en engageant ses cinq fédérations départementales à donner leur adhésion au parti unifié, ce qu'elles firent immédiatement. Depuis ce moment le socialisme a fait du chemin en pays d'Armor
Dans cette région où naguère, la propagande était si difficile dans ce milieu souvent sous l'emprise d'un clergé belliqueux, très souvent dominé par une féodalité terrienne farouchement conservatrice, l'Idée s'est imposée peu à peu : on vient maintenant à nous".
Et Hippolyte Masson conclut son article par une envolée lyrique : " ainsi donc, les anciens ont défriché, ils ont été, ces vétérans, les pionniers qui ont semé le blé rouge. Ceux qui les ont remplacés et qui, comme l'ont été leurs aînés, sont de vaillants soldats du socialisme libérateur, feront demain la moisson. Puisse-t-elle être féconde."
JYC
(1) Cet article était intitulé " Souvenirs d'avant l'Unité "
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