Et aujourd’hui, pour supprimer quelle injustice Tanguy-Prigent ferait-il adopter une loi ? Dans
la foulée de l’hommage rendu à l’initiateur du statut du fermage et des foyers ruraux, la section socialiste du Haut-Trégor a organisé, le
26 février, une conférence-débat à la salle Kasino de Saint-Jean-du-Doigt.
Cette rencontre s’est tenue au surlendemain de l’agression Russe contre l’Ukraine, au lendemain
d’une manifestation qui a réuni près de 150 tracteurs et 200 personnes à Quimper et le jour même de l’inauguration du Salon de l’agriculture.
Pour réfléchir aux enjeux agricoles et alimentaires, la section du Haut-Trégor avait invité Maryse Tocquer, maire de Saint-Jean-du-Doigt, Jean-Luc Fichet, sénateur, auteur d’un rapport sur l’alimentation, Jean-François Sarreau, président de l’Institut de l’Agriculture Durable, Jean-Yves Masson et Yvon Cabioch, agriculteurs dans le Trégor.
Le débat était animé par Tristan Foveau, Premier secrétaire fédéral et secrétaire national à la Transition écologique.
Le temps agricole est obligatoirement long. Les évolutions se mesurent sur une génération. Alors que les perspectives politiques sont beaucoup plus courtes et dépassent rarement quatre ou cinq ans. « Comment, dans ces conditions, permettre le développement d’une agriculture respectueuse des sols, des animaux et permettant aux producteurs de vivre dignement de leur métier ? »
« La Bretagne demeure une région agricole », a insisté, d’emblée, Tristan Foveau. « Nous disposons en effet de terres arables (55 % de notre territoire alors que la moyenne nationale se situe autour de 33 %) et de professionnels
(4 % de la population active contre 2 % au niveau national). »
Ce n’est donc pas un hasard si la Bretagne est la première région de production pour les tomates, les choux fleurs ou les artichauts, ou pour les veaux et les porcs.
Les défis à relever sont immenses pour garantir notre souveraineté alimentaire. Chacun les connaît : installation de jeunes, respect de l’environnement, préservation du foncier.
La loi du marché conduit inexorablement à une plus grande concentration de la capacité de production entre les mains de quelques-uns, à des impacts toujours plus dévastateurs sur l’environnement et à une dégradation des droits sociaux des agriculteurs ou des salariés agricoles.
Qui détient les clefs pour améliorer le revenu des agriculteurs ? Et pour sauvegarder le modèle basé sur la polyculture familiale ? Les grandes surfaces ? Les coopératives ?
« Cette course folle vers des prix bas ne peut plus durer. »
« Dans un monde ouvert, où les agricultures sont en concurrence, sans régulation et sans planification, l’agriculture bretonne ne peut pas rivaliser », a insisté Gwenegan Bui. Or, toutes les formes de régulation sont tombées les unes après les autres. « Au moins, les quotas laitiers donnaient une perspective à long terme pour les producteurs », a-t-il rappelé. « Mais ce sont certaines organisations agricoles qui ont demandé leur suppression. »
Le rôle des coopératives aussi doit être évalué. « Il est temps que les agriculteurs reprennent en main ces outils qui sont devenus des grands groupes financiers qui ont perdu leur esprit coopératif originel. »
« On doit toujours revenir à la base du métier », a rappelé Jean-Luc Fichet : « La fonction première des agriculteurs consiste à nourrir les hommes. Et, dans la lignée des combats menés par Tanguy Prigent, les agriculteurs doivent pouvoir tirer un revenu décent de leur travail. »
Si, jusqu’au milieu du XXe siècle, l’enjeu était quantitatif, il est maintenant, compte tenu des gains de productivité, qualitatif. « Pour les céréales, on est passé de rendements de 30 à 40 quintaux par hectares, à 90 voire 100 », a mis en perspective le sénateur.
Comment alors lier quantité et qualité ? « Par de nouvelles pratiques agricoles, comme la permaculture qui permet de réduire les charges des producteurs et qui préserve les sols », a estimé Jean-François Sarreau.
Le défi de l’installation de jeunes agriculteurs ne sera pas le plus facile à relever. « Nous sommes actuellement sur un ratio de 800 départs à la retraite pour 200 installations », a prévenu Jean-Yves Masson. « Il ne sera pas possible de produire autant, avec 150 000 producteurs qu’avec 250 000 ». « On ne s’improvise pas agriculteur », a renchéri Yvon Cabioch. « Il n’est pas nécessaire d’être issu du monde agricole pour travailler la terre ou élever des animaux, mais il faut être formé et ne pas avoir peur de travailler. »
De quel côté sont les coopératives ?
Dans ce contexte, les lois EGalim ne permettent pas de dégager un revenu correct aux producteurs, tant le rapport de force entre les agriculteurs et les grandes surfaces est disproportionné. « C’est là que le consommateur doit être conscient de son pouvoir », a insisté Yvon Cabioch. « Le ticket de caisse est un peu comme le bulletin de vote. Nous continuerons à produire du bio si les consommateurs le demandent. » Il revient donc au consommateur de prendre conscience de ses choix : la part de l’alimentation dans le budget des ménages est passé de 30%, dans les années 50, à 11 % aujourd’hui. Cette course folle vers des prix bas, illustrée par la mise en vente de baguettes à 29 centimes ne peut plus durer. Une prise de conscience collective est nécessaire.
Article publié dans le Cap Finistère n°1384 du 4 mars 2022
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