Au carrefour des mondes
Après « Égaux sans ego », l’association brestoise Égalité par Éducation (EpE) vient de publier un nouveau roman graphique intitulé « Au carrefour des mondes, nos Lettres persanes » (éditions Locus Solus). Sa présidente, Janine De Nascimento, nous en dit plus sur les buts d’EpE et sur la genèse de ce projet qui a mobilisé près de 450 lycéens.
Cap Finistère : Pourquoi et comment est née EpE ?
Janine De Nascimento : Nous étions un groupe de femmes convaincues que la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes passe, essentiellement, par l’éducation. Mais il ne suffit pas de réfléchir entre nous, de parler et de débattre, il faut aussi agir. Et nous avons eu l’idée de publier une bande dessinée pour faire passer nos idées. C’est pour cette raison que nous avons, en 2012, créé l’EpE qui signifie l’Égalité par Éducation mais qui symbolise aussi l’épée, l’outil qui pour nous doit être utilisé pour pourfendre les stéréotypes.
Notre première action a donc consisté à donner la parole à des élèves de Brest et de la région pour connaître leurs centres d’intérêts et leur point de vue sur l’égalité. C’est ainsi que nous avons publié « Égaux sans ego » qui abordait des questions comme les tenues vestimentaires, le sport ou les jeux vidéo. Ce livre a rencontré un grand succès et a même été mis en scène à la 4e Biennale de l’Égalité en Bretagne en 2014. La bande dessinée est devenue interactive sur le site internet du ministère de l’Éducation nationale : deux versions étaient présentées pour l’histoire sur les préjugés dans le monde du travail, montrés dans des rôles à contre-emploi : l’une mettait en scène une fille qui postulait pour un emploi dans le bâtiment puis un garçon pour montrer la différence d’attitude du patron dans les deux cas, et l’autre idem avec un garçon qui voulait travailler dans une crèche puis une fille.
Cap Finistère : Et ensuite, vous avez organisé un concours de textes, sur l’égalité, à la manière des Lettres persanes de Montesquieu ?
Janine De Nascimento : Tout à fait. Nous avons soumis cette idée à plusieurs lycées de la région de Brest et de Lorient, donc de France, et de Belgique, du Maroc et de Tunisie. Le choix de ces pays francophones a été totalement empirique et s’est fait en fonction de rencontres que nous avons pu faire, notamment sur des salons de livres lorsque nous présentions « Égaux sans ego ». Ou des contacts que des membres de l’association pouvaient avoir à l’étranger. Nous avons demandé à des élèves de Seconde d’écrire un texte sur l’égalité femmes/hommes, à la mode des Lettres persanes de Montesquieu. Nous ne voulions pas de critiques mais plutôt un regard oblique que permet la distance entre la réalité et l’observateur qui vient d’un pays lointain et qui porte nécessairement un regard différent. À l’image de ce que fit Montesquieu en imaginant comment des Persans auraient pu décrire les moeurs des Parisiens du XVIIIe siècle. Nous avons ainsi recueilli des dizaines de textes. Nous avons été très agréablement surpris par la qualité des travaux qui nous ont été remis. Et plusieurs parents d’élèves nous ont même fait part de leur étonnement en lisant les histoires imaginées par leurs enfants.
À partir de cette « matière première », Gwénola Morizur, a écrit un scénario que Laëtitia Rouxel a illustré. Sans raconter l’intrigue du livre, je peux citer deux textes qui s’intègrent dans l’histoire. L’un d’eux met en scène une journaliste extraterrestre, issue d’une société dans laquelle trois genres (féminin, masculin et neutre) vivent en parfaite intelligence, qui réalise un reportage sur l’égalité femmes/hommes sur terre.
Un autre texte inverse totalement les rapports de domination et invente une île dans le Pacifique où les femmes détiennent tous les pouvoirs. Et ce sont d’ailleurs deux femmes qui viennent en France pour négocier un traité commercial pour l’exploitation d’un minerai très rare qui s’appelle le résistium. D’autres élèves évoquent le harcèlement dans la rue ou les transports en commun ou les difficultés qu’éprouvent les femmes à être candidates aux élections.
Cap Finistère : Avez-vous d’autres projets de bandes-dessinées ou de romans illustrés ?
Janine De Nascimento : Pour l’instant, nous sommes totalement mobilisés pour la promotion et la diffusion d’« Au carrefour des mondes ». Il ne suffit pas de le publier, il faut maintenant le faire connaître. Nous voulons vraiment que ce roman graphique devienne un outil pédagogique dans les collèges et lycées bretons pour favoriser l’éducation à l’égalité. Les Conseils départementaux du Finistère et d’Ille-et-Vilaine ont passé commande pour les mettre à la disposition des collèges. La Région va en faire de même dans les lycées.
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Article publié dans le Cap Finistère n°1289 du 22 novembre 2019