« Nous avons devant nous quelques années déterminantes si nous ne voulons pas que l’extrême-droite arrive au pouvoir ». Pour éviter cette catastrophe, la Ligue de l’enseignement vient d’engager une réflexion qui doit aboutir à un plan d’action nous explique son secrétaire général Yannick Hervé.
Cap Finistère : Pourquoi avez-vous engagé ce travail de réflexion pour lutter contre l’extrême-droite ?
Yannick Hervé : Nous ne nous résignons pas à la montée inexorable de l’extrême-droite. Or, depuis les années 80 c’est bien ce à quoi nous assistons, avec une accélération particulière depuis 10 ans : Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de la présidentielle en 2002, puis sa fille en 2017, où elle a recueilli 34% des voix et cette année 42%.
Les causes de la montée de l’extrême-droite sont connues : l’accroissement des inégalités sociales, le sentiment d’abandon d’une partie de nos concitoyens l’explosion de la pauvreté et parallèlement l’annonce de super profits indécents.
Le Font républicain a permis de la laisser à la porte de l’Élysée mais pour les Législatives, ce front s’est en partie rompu permettant l’élection de 89 député-es RN. Nous voyons que les digues cèdent et si on ne réagit pas, la prochaine présidentielle peut permettre à l’extrême-droite d’arriver à l’Elysée. C’est la petite musique que nous entendons tous. Mais, à la Ligue nous ne nous y résignons pas. Nous devons nous opposer au travail de dédiabolisation qui est à l’œuvre. Parce que, régulièrement, des actes ou des propos nous rappellent le caractère profondément xénophobe et dangereux de l’extrême-droite.
Cap Finistère : Sentez-vous la pression exercée par l’extrême-droite, en particulier à l’école qu’Eric Zémmour vient de désigner comme une cible prioritaire ?
Yannick Hervé : On assiste effectivement à une bataille culturelle engagée par l’extrême-droite, à l’école, sur des sujets comme la théorie du genre mais aussi sur le dossier de l’accueil des réfugiés comme actuellement à Callac ou des élu-es et des journalistes sont directement menacés. On voit aussi comment la laïcité est dévoyée pour s’en prendre systématiquement à la religion musulmane. L’extrême-droite dispose de puissants relais médiatiques, notamment dans des médias détenus par le secteur marchand.
La Ligue est née en 1886. Nous sommes un mouvement qui a contribué à mettre l’école au cœur de la République. Nous ne pouvons pas rester inactifs dans un combat où les valeurs mêmes de la République sont menacées. En tant que mouvement laïque d’éducation populaire, nous avons une responsabilité particulière. Nous n’intervenons pas dans le jeu électoral et nous n’avons jamais appelé à voter pour ou contre tel ou tel candidat, à partir du moment où il se situe dans le cadre républicain. Mais face au danger que représente l’extrême-droite, nous avons un rôle à jouer. Et rapidement car la prochaine Présidentielle sera déterminante.
Cap Finistère : Quelles sont les premières pistes sur lesquelles vous travaillez ?
Yannick Hervé : Nous en sommes encore au stade du pré-projet mais nous voyons déjà vers où nous voulons aller. Nous travaillons d’abord sur la définition d’un positionnement sur les enjeux institutionnels. La Bretagne et le Finistère sont encore épargnés mais nous devons adopter une ligne de conduite sur de nombreux territoires par rapport aux élu-es ou aux collectivités dirigées par l’extrême-droite. Nous sentons bien que nous avons besoin d’une doctrine sur ce sujet et qu’il est nécessaire de rebâtir collectivement des digues.
Ensuite, nous voulons trouver des solutions pour favoriser la mobilisation et la participation électorale aux prochaines élections. Aux Européennes bien sûr, mais surtout à la présidentielle. Pour cela, les organisations de jeunesse et d’éducation populaire ont un rôle déterminant à jouer pour expliquer pourquoi les jeunes en particulier doivent exercer leur droit. Plus généralement, nous devons mener ce travail de conviction dans les quartiers où nous sommes présents et où les taux de participation sont faibles.
Nous avons aussi un chantier à renforcer sur tout ce qui tourne autour de la désinformation via les réseaux sociaux. Nous intervenons déjà pour former les jeunes et développer leur esprit critique mais nous devons encore accentuer nos efforts dans ce domaine.
De la même manière, nous devons aussi engager un travail de formation au sein de notre réseau pour les encadrants et les bénévoles, en particulier dans une région comme la Bretagne où nous ne sommes pas encore confrontés à des élu-es d’extrême-droite.
Nous voulons également proposer aux collectivités locales ou associations de signer la charte de la diversité. Écrite par Dadou Kehl, secrétaire général de la Ligue de Charente-Maritime, elle permet de faire prendre conscience que face à la montée de la xénophobie, du racisme, de la volonté de discriminer et de nuire à la cohésion républicaine, nous sommes un réseau dense d’acteurs reliés par une conception différente.
Enfin, nous devons renforcer nos partenariats ou en nouer de nouveaux afin de trouver des alliés de résistance, particulièrement dans la société civile. Nous pensons aussi qu’il faut toujours associer les collectivités locales et les associations pour lutter contre le repli sur soi. Nous devons aussi réinventer des relations avec les partis attachés à la République.
D’ailleurs, à l’occasion de la semaine de la laïcité, le mercredi 7 décembre, nous organisons une table ronde, à Brest, au PL le Gouil, sur le thème : laïcité, diversité et extrême-droite.
Nous sommes donc clairement engagés dans une contre-offensive. Trop de gens, y compris de vrais progressistes, se demandent si, finalement, l’extrême-droite n’aurait pas changé, ne serait pas devenu fréquentable. Nous devons collectivement invalider cette banalisation et rappeler que l’extrême-droite est l’ennemie de la République, de la diversité et du vivre-ensemble.
Article publié dans le Cap Finistère n°1413 du 25 novembre 2022
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