Quel sera l’impact de la crise de la Covid sur les relations internationales ? Le 19 octobre, alors que le second confinement était à peine envisagé, Pascal Boniface, directeur de l’IRIS (Institut des Relations Internationales
et Stratégiques) participait à une conférence à la librairie Dialogues à Brest pour faire le point, à peu près neuf mois après le début de la pandémie.
Pour bien mesurer l’importance de la crise que nous vivons, il faut avoir à l’esprit que, pour la première fois dans
l’Histoire, l’ensemble de l’Humanité, est confrontée, au même moment, au même phénomène. Ce qui permet toutes les comparaisons possibles. Or, force est de constater que l’Europe et les États-unis, l’Occident, ne s’en sortent pas mieux que le reste du monde.
Et pourtant, nous étions prévenus. En France, pas moins de trois livres blancs de la défense (2008, 2013 et 2017) ont mis en avant le risque d’une pandémie mondiale. En 2009, la CIA a publié un rapport qui décrit parfaitement le scénario que nous vivons actuellement.
Alors pourquoi ne pas avoir tenu compte de ces avertissements ? Parce que l’Occident vit encore sur l’illusion de sa puissance et n’a pas encore compris qu’il n’est plus, comme pendant les Trente glorieuses, à l’abri des catastrophes, des épidémies, de la famine, des guerres qui devaient être réservées aux pays de ce qu’on appelait alors le Tiers monde. En ce qui concerne la Covid, les pays africains s’en sortent globalement mieux que les pays européens.
Dans l’illusion de notre puissance et de notre richesse nous n’avons pas voulu envisager le blocage de notre système de santé réputé comme le meilleur du monde. Et pourtant...
Il est difficile de dater exactement l’origine du phénomène mais depuis 20 à 15 ans, la position dominante des États-Unis est clairement remise en cause, notamment par la Chine qui est en train de les supplanter.
Cette rivalité américano chinoise est d’ailleurs mise en exergue par Donald Trump qui utilise le terme « chinese virus » et non Covid 19. Cependant, même si l’épidémie est partie de Wuhan, elle a été bien plus mortelle aux États-Unis qu’en Chine. Et la Chine ne cesse de montrer au monde entier qu’elle a su endiguer la pandémie. Il y a bien sûr une dimension de propagande
dans cette campagne de communication mais on ne peut pas balayer d’un revers de main les images chinoises en expliquant que ce pays serait une dictature.
« La Chine est un régime autoritaire mais pas totalitaire », a précisé Pascal Boniface. En effet, 850 millions de Chinois surfent sur internet et 150 millions font du tourisme à travers le monde sans qu’un seul ne tente de demander l’asile politique.
Il est toujours périlleux de faire des prévisions en matière de relations internationales, « surtout lorsqu’il s’agit d’avenir ». Cependant, pour Pascal Boniface, quel que soit le nom du prochain président des États-Unis, la politique à l’égard de la Chine restera grosso modo la même, sachant que Républicains et Démocrates partagent le même point de vue concernant la fermeté dont il faut faire preuve vis-à-vis du régime de Pékin. En effet, les États-Unis dirigent le monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ils sont sortis vainqueurs de la guerre froide et se considèrent comme la seule nation « indispensable » selon les termes de Bill Clinton.
Or, lorsque la Chine a rejoint l’organisation mondiale du commerce, dans les années 90, son PIB représentait 10 % de celui des États- Unis. Aujourd’hui il atteint les 65%. Mais avec les conséquences économiques de la crise, il pourrait très rapidement approcher les 75%. C’est donc la position même des États-Unis qui est en cause. Que le président soit républicain ou démocrate n’a que peu de conséquence. Il est toujours préférable qu’il soit poli.
Dans ce contexte dominé par la rivalité sino-américaine, quel rôle doit jouer l’Europe ? Elle peut, sans s’aligner sur l’un des protagonistes, développer une orientation autonome, d’autant plus facilement que le Brexit a permis de faire sortir un pays qui, depuis son adhésion s’était plus comporté comme un frein que comme un moteur. Le Brexit est une catastrophe pour l’Angleterre mais le plan de relance européen n’aurait probablement pas été le même si les « pays frugaux » avaient pu compter sur le soutien de Londres.
« Nous devons être nous-mêmes pour ne pas être obligés de choisir qui, de Pékin ou de Washington, sera notre maître », a résumé Pascal Boniface.
Article publié dans le Cap Finistère n°1330 du 6 novembre 2020
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