Vous ne voulez pas financer la campagne d’Éric Zemmour en achetant son livre, mais vous êtes tout de même curieux de connaître la nature du discours qu’il propage ? Alors vous pouvez remercier Alain Bergounioux qui l’a fait pour vous et qui a publié son commentaire sur le site Télos.
La rhétorique zémourienne est connue et peut se résumer de la façon suivante : la France est en déclin, un « grand remplacement » est à l’œuvre avec la complicité des élites mondialisées qui organisent l’arrivée en Europe de ressortissants des anciens pays colonisés qui veulent déclencher une guerre civile, ou qui, avec la « théorie du genre », tentent de saper de l’intérieur, les valeurs occidentales. L’Islam est donc une menace, les frontières doivent se fermer et les personnes de confession musulmanes doivent quitter le territoire ou renier leur culture en prénommant leur fille Nadine ou leur fils Éric.
Alain Bergounioux rappelle qu’Éric Zemmour « s’inscrit au croisement de deux types d’influences. La première relève de toute une tradition historique, le nationalisme identitaire, qui s’est cristallisée à la fin du XIXe siècle. La seconde tient d’une réalité présente, le moment populiste, illustré aux États-Unis, par le trumpisme et en Europe par la Hongrie de Victor Orban pour prendre le cas le plus emblématique.
« Les électeurs de Trump craignent de devenir minoritaires dans leur pays. »
Le nationalisme est un sentiment et une doctrine qui ont pris naissance avec la Révolution française. Il a été longtemps porté par la Gauche libérale et républicaine qui lui donnait une vocation universelle. Ce n’est qu’à la fin du au XIXe siècle qu’un nationalisme d’une autre nature a pris corps avec, à la fois, une dimension protestataire, fondée sur l’appel au peuple, la recherche d’un “ sauveur ”, la critique du parlementarisme et une dimension identitaire, franchement xénophobe, avec un antisémitisme affirmé, une vision d’une France purgée des “ juifs, des protestants, des franc-maçons, des métèques ”, les “ anti- France” de Charles Maurras.
Il ne faut donc, pas s’étonner si l’idée de “ décadence ” est au cœur de ce courant. On ne parlait pas alors de “ grand remplacement ”, mais d’“ invasion ”. La question de la race et de son intégrité était directement liée à l’obsession du déclin.
La critique de la modernité, tout particulièrement l’individualisme amené par les Lumières et la Révolution française, faisait contraste avec la nostalgie d’un “ âge d’or ” (situé avant 1789 tandis qu’Éric Zemmour parle, lui, des années 1960, où les hiérarchies sociales et l’autorité étaient respectées).
Toute cette tradition affleure dans les pages du livre d’Éric Zemmour, avec l’adaptation de vocabulaire due au passage du temps. Mais c’est bien le même noyau de pensée, qui réapparaît régulièrement lors des grandes crises que traverse notre pays, dans les années 1930 et à Vichy, où une part de ce nationalisme identitaire a versé dans le fascisme et au moment de la Guerre d’Algérie, avec le poujadisme, nationalisme protestataire par excellence.
Qu’il n’y ait pas grand-chose de neuf dans ces idées n’est pas pour autant rassurant. Car si la crise multiforme que connaît la société française n’est pas une crise ouverte de régime, elle s’inscrit, néanmoins, dans un moment de trouble qui touche nombre de pays occidentaux. Si la couverture du livre d’Éric Zemmour plagie l’affiche de campagne de Donald Trump, en 2016, c’est tout à fait volontaire. Et les points de comparaison ne manquent pas : la familiarité médiatique, la régularité des provocations, les “faits alternatifs ”... Mais le point essentiel tient dans un fait sociologique et politique majeur : la grande majorité des électeurs républicains américains ont la crainte de devenir minoritaires dans leur pays avec la croissance démographique des minorités, et ils se battent pour conserver le pouvoir politique. Les rapports numériques ne sont pas les mêmes en France, et ne le seront pas à la fin du siècle, et encore moins si l’on prend en compte le nombre croissant des mariages mixtes. Mais qu’importe, Éric Zemmour, avec une droite radicale, joue sur cette peur aussi : demain, il sera trop tard. »
« Il est toujours utile de savoir à quoi l’on a affaire », conclut Alain Bergounioux. « Bien sûr, si sa campagne se concrétise effectivement, il fera des concessions pour élargir son socle électoral. Et des contradictions apparaîtront, plus nettement, entre ses propositions politiques, économiques, sociales. Mais le fond est fixé et il n’en changera pas. Il n’existe que par une radicalité qu’il a trop besoin de cultiver pour s’imposer à toute une partie de l’opinion, aggravant ainsi les risques de conflits dans notre société. »
Article publié dans le Cap Finistère n°1369 du 8 octobre 2021
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