De la PAC à la PAAC
« Pour nous, socialistes, la crise actuelle ne doit pas être une simple parenthèse dans un modèle de développement qui nous conduit dans une impasse »,ont expliqué, le 8 avril, dans une Tribune publiée dans Libération, plusieurs dirigeants du PS(*). « L a pandémie de Covid-19 révèle l’extrême fragilité de nos sociétés et notre interdépendance planétaire, tragiquement dévoilées par la carence de biens essentiels en situation de crise. Nous redécouvrons par là même les enjeux stratégiques de l’agriculture et l’alimentation pour notre sécurité et notre souveraineté. « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner (…) est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle. » Lorsqu’il annonce des « décisions de rupture » le 12 mars, Emmanuel Macron est-il réellement convaincu de la nécessité de revoir en profondeur notre modèle de développement ? Est-il réellement prêt à abandonner le modèle néolibéral avec son capitalisme financier et son dogme du libre-échange ? Il y a dix ans, Nicolas Sarkozy dénonçait lui aussi « les dérives du capitalisme financier ». Puis, dès que la crise a été oubliée, tout – ou presque – a recommencé comme avant ! Pour nous, socialistes, la crise actuelle ne doit pas être une simple parenthèse dans un modèle de développement qui nous conduit dans une impasse. Le Covid-19 est une alerte qui annonce d’autres crises sanitaires ou environnementales, liées au dérèglement climatique ou à la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité. (…) Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, trois leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de cette crise. Une seule santé, une seule planète Il n’y a pas de santé de l’être humain sans santé du monde animal, du monde végétal et, par conséquent, des sols. C’est le sens de l’initiative One Health (« Une seule santé »), lancée au début des années 2000, qui vise à mieux affronter les maladies émergentes à risque pandémique en associant la santé humaine à celle de son environnement. Du fait de leur impact sur les écosystèmes, certaines pratiques agricoles, comme nos habitudes alimentaires, contribuent au risque d’émergence de nouveaux agents infectieux. Il est devenu indispensable d’organiser la transition vers des modèles de production et de consommation qui soient, au long cours, générateurs de santé. (…) Le droit à la souveraineté alimentaire La crise révèle que l’agriculture et l’alimentation, comme d’autres biens essentiels, sont au cœur de notre indépendance et de notre sécurité. La nourriture n’est pas une marchandise comme les autres. En ne préservant pas le droit à la souveraineté alimentaire, associé à une solidarité fondée sur la coopération entre les différentes régions du monde, une erreur a été commise lors de l’intégration de l’agriculture dans les règles du commerce international (création de l’OMC en 1994, aujourd’hui accords de libre-échange type Ceta et Mercosur). Nous devons inventer une nouvelle génération de traités fondés sur des règles équitables et qui s’inscrivent dans un nouveau multilatéralisme. (…) Le temps de l’Europe La dernière leçon de la crise sanitaire dramatique que nous vivons en direct est que nous ne trouverons pas seuls de réponse aux enjeux sanitaires, sociaux et écologiques du XXIe siècle. C’est notre Europe, aujourd’hui inachevée, qui, dans ce monde dangereux, peut faire de l’éthique de l’entreprise et de l’action publique une boussole dans la globalisation. Le Green Deal européen, qui a pour objectif la neutralité climatique en 2050 dans le cadre d’une transition juste et inclusive pour tous, ne doit pas trahir ce qui est un authentique espoir pour les citoyens européens. Une des bases de la fondation de la communauté européenne fut la modernisation de l’agriculture dans le traité de Rome en 1957. Convaincus que les espaces ruraux ne sont pas une périphérie mais au cœur des enjeux de la modernité, nous affirmons que le temps est venu de bâtir une politique agricole et alimentaire commune pour le XXIe siècle. (…) Cette nouvelle PAAC doit faire de la santé des sols, du refus de l’accaparement des terres, du partage de la valeur ajoutée, de la fin du gaspillage alimentaire et du renouvellement des générations les conditions même d’une agriculture à hauteur d’homme, capable de produire une nourriture de qualité pour tous. La mondialisation n’est pas comme dans la fiction libérale, heureuse « par nature ». Elle peut le devenir dans un nouveau pacte de respect de la nature et des droits humains. Lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, prévention de la malnutrition et des pandémies sont un même et seul combat. Il passe par une puissance publique régulatrice, protectrice de nos communs et garante de la justice. Ce sont les principes directeurs d’une politique de gauche pour l’agriculture et l’alimentation.
(*)Dominique Potier secrétaire national du Parti Socialiste et député de Meurtheet-Moselle, Olivier Faure premier secrétaire du Parti Socialiste et député de Seine-etMarne, Valérie Rabault présidente du groupe Socialistes et Apparentés à l’Assemblée nationale et députée de Tarn-et-Garonne, Patrick Kanner président du Groupe socialiste et républicain au Sénat et sénateur du Nord, Éric Andrieu vice-président du groupe S&D au Parlement européen, Stéphane Le Foll maire du Mans (Sarthe) et ancien ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt, Guillaume Garot député de la Mayenne et ancien ministre délégué à l’Agroalimentaire.
Article publié dans le Cap Finistère n°1308 du 17 avril 2020