Décentraliser est une avancée sociale
Dans une tribune publiée par le Télégramme le 10 juin 2020, Arnaud Platel, conseiller municipal de Plomelin (29) et secrétaire fédéral du PS 29 chargé du Breis (Bureau régional d’études et d’informations socialiste), donne son point de vue sur la stratégie de relance à adopter pour surmonter la crise du Covid-19.
"Les références historiques d’après-guerre se multiplient pour qualifier la tâche à accomplir pour reconstruire la France post-Covid. Après l’idée d’un « plan Marshall » en faveur du tourisme, les Français sont ainsi invités à retrouver les « jours heureux » - du nom du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) de mars 1944 – pour relancer la croissance.
Bien qu’exagéré historiquement, ce parallèle reste pertinent pour créer l’élan citoyen capable de structurer le « monde d’après », équivalent de l’« ordre social plus juste » appelé de ses vœux par le CNR « dès la Libération du territoire ». Or, pour y parvenir, ses membres avaient compris que l’effort de l’ensemble des Français et de ses institutions était nécessaire. Raison pour laquelle, dans ce programme, ils engagent à « organiser la lutte suivant un plan établi avec les autorités compétentes à l’échelon régional, départemental et local, pour obtenir le maximum d’efficacité ».
Dans une perspective différente – la crise sanitaire et le confinement ne sont pas comparables à la Seconde Guerre mondiale et à l’occupation allemande -, le CNR nous livre trois leçons.
D’abord, il fait du concours des territoires et de ses acteurs un élément de la résilience nationale. Un projet d’une ampleur telle que la Libération nécessitait en effet un soutien populaire massif – et ce jusque dans les zones les plus reculées – pour créer un sentiment d’appartenance le plus large possible et éviter les sécessions qui auraient été tout autant de fronts supplémentaires. De même, alors que la crise sanitaire a souligné les défauts du centralisme français, il est de l’intérêt de l’État d’associer les collectivités territoriales au plan de reconstruction post-Covid, afin de renforcer la cohésion nationale autour de ce projet et d’en écarter le biais jacobin.
Ensuite, il fait de la décentralisation de cette stratégie un gage « d’efficacité ». Alors que les effets de l’Occupation sur le quotidien des Français n’étaient pas identiques selon les territoires, le CNR comptait sur la connaissance par ses soutiens locaux de ces particularités et des forces en présence pour mener à bien son projet. Il va sans dire que la relance prévue par le gouvernement français – avec le soutien de la Commission européenne – n’a aucune chance d’être efficace si elle n’adapte pas ses mesures en fonction des spécificités territoriales et n’en transfère pas une partie de la gestion aux institutions qui les connaissent le mieux.
Enfin, il fait de cette confiance le préalable à l’avènement d’un « ordre social plus juste ». Si la justice sociale n’a pas attendu l’Occupation pour être malmenée – tant les réquisitions et les pénuries d’alors ne faisaient qu’aggraver des inégalités sociales et territoriales plus anciennes –, elle devait pouvoir compter sur la somme des indignations particulières pour créer un sursaut national orienté vers plus de solidarité – prémices de l’avènement de l’État-providence. Espérons qu’il en sera ainsi dans cette France dont les fractures – bien que séculaires – ont été soulignées par la crise sanitaire et plaident pour plus de proximité dans l’action publique, gage d’efficacité et d’humanité car plus en phase avec les préoccupations quotidiennes des Français.
Donnons un nouveau souffle au débat sur la décentralisation. Aux côtés des arguments culturels (faire reconnaître les particularités locales), administratifs (réduire le « millefeuille » territorial) et budgétaires (assainir les finances publiques), ceux à vocation sociale sont plus que jamais à défendre. Alors que la crise sanitaire - qui est aussi une crise de la centralisation « à la française » - et ses conséquences démontrent qu’il y a des zones qui en souffrent plus que d’autres, territorialiser la décision publique est une avancée sociale."