Des inspé d’inspiration libérale
Pour la formation des enseignants, il faut arrêter de détricoter sans arrêt ce qui existe déjà sans qu’il y ait une évaluation indépendante, estime Arlette Roudaut qui fut responsable du site IUFM de Brest, de 1992 à 2001.
Cap Finistère : Avec son projet d’INSPÉ, Jean-Michel Blanquer s’inscrit dans la longue tradition des ministres qui modifient la formation des enseignants.
Arlette Roudaut : Avec plus ou moins de bonheur ! Sans remonter à Jules Ferry, il faut revenir à mai 68. Le pouvoir gaulliste n’avait absolument pas anticipé les flux importants d’élèves et d’étudiants, pourtant prévisibles, conséquences du baby-boom. Dans les années 70, on recrute dans l’urgence des maîtres auxiliaires et on construit aussi dans l’urgence des collèges (NB : « Pailleron »). Après 1981, la Gauche titularise ces contingents de maîtres auxiliaires.
En 1989, devant les difficultés à recruter des enseignants, notamment en mathématiques et en sciences, Lionel Jospin, ministre de l’Éducation de Michel Rocard, augmente le nombre de places aux concours, revalorise les carrières et développe des concours et promotions internes. Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM), établissements publics autonomes à caractère administratif, assurent une formation et une culture professionnelle commune à tous les enseignants du primaire et du secondaire. Recrutés à Bac + 3 les instituteurs deviennent Professeurs des Écoles (PE), fonctionnaires de catégorie A. Il n’y a plus de maîtres auxiliaires. Les remplacements sont effectués par des titulaires remplaçants.
Le concours intervenant au milieu de la formation. Le professeur admis était stagiaire rétribué : son temps de formation était partagé en trois tiers : un tiers de temps dans une classe en responsabilité, un tiers de temps de cours à l’IUFM pour des approfondissements, disciplinaires et généraux (sociologie, psycho...) et un tiers de temps pour l’étude personnelle d’un cas rencontré dans sa pratique donnant lieu à un débat pour la validation (niveau M2).
Cap Finistère : Nicolas Sarkozy a cassé ce système.
Arlette Roudaut : Tout à fait. Et d’ailleurs Jean-Michel Blanquer, bras droit du ministre Darcos, était déjà à la manoeuvre. Pour résumer : les lauréats au concours étaient immédiatement mis sur le terrain avec une obligation de service à temps complet. Ils étaient amenés à gérer seuls leur classe, se basant sur l’expérience acquise lors des quelques semaines de stages inclues dans leur formation. Un « compagnonnage » était supposé donner au nouveau professeur les clés de la pratique !
Cap Finistère : C’est encore une fois la Gauche qui a amélioré la formation des enseignants ?
Arlette Roudaut : Oui. La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a créé, à partir de la rentrée 2013, les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) et des Masters Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (MEEF).
Cap Finistère : Qu’est-ce qui vous paraît le plus contestable dans le projet actuel ?
Arlette Roudaut : Jean-Michel Blanquer justifie sa réforme en s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes. L’objectif est de fournir des enseignants à bas prix. Aucune rémunération n’est prévue pour les étudiants de master qui feront des stages dans les classes. Le concours étant prévu en fin de M2, on peut imaginer que tous les étudiants ne seront pas reçus. Les recalés auront une formation bac + 5, après avoir suivi une professionnalisation. Ces non-diplômés vont représenter un volant de personnels non-titulaires, proches du statut de maîtres auxiliaires, des contractuels qui vont servir de variables d’ajustement. Il aurait été préférable de conserver le concours en fin de M1.
De plus, on voit bien l’idéologie qui est derrière : enlever la responsabilité de la formation aux universités, rétablir les pouvoirs des Recteurs et inspecteurs sur la formation.
Cap Finistère : Que faudrait-il mettre en place pour garantir une formation initiale et continue des enseignants ?
Arlette Roudaut : D’abord, arrêter de détricoter sans arrêt ce qui existe déjà sans qu’il y ait une évaluation indépendante. Il est certainement possible d’améliorer les ESPE comme il était possible de le faire pour les IUFM.
Le problème actuel est que la profession n’attire plus et que l’on peine à recruter en sciences, comme en 1999. Il faut revaloriser, comme l’avait fait Jospin, et accepter l’idée que former un enseignant c’est aussi important que former un ingénieur. Et il faudrait mettre en place une formation continue des enseignants plus régulière et plus systématique.
Article publié dans le Cap Finistère n°1273 du 7 juin 2019