On pouvait croire que l’exploitation d’étrangers sans papiers était l’apanage des grands centres urbains, en particulier dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, et que le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) n’intervenait pas dans le Finistère. Il n’en est rien puisque même dans la région de Morlaix, des salariés, travaillant pour une entreprise de ramassage de volailles, ont été et sont exploités.
Pour un « Duldung » à la française
C’est un peu par hasard si l’union locale CGT de Morlaix a eu connaissance de ce scandale.
« Trois salariés ont osé franchir la porte de notre local pour nous exposer leur situation », explique son secrétaire Marc Corbel, « ils ont fait preuve de courage car leur employeur leur avait fait croire que, s’ils se plaignaient à des syndicats, des inspecteurs du travail ou des assistant.es sociales, ils seraient dénoncés et expulsés de France ».
La CGT a décidé d’appeler à une manifestation, le mardi 19 janvier à 11 h 00 à Morlaix pour attirer l’attention de l’opinion publique sur la situation de ces salariés exploités et réclamer la régularisation de ceux qui travaillent encore sans papiers.
« La CGT appelle à manifester le 19 janvier à 11h00 à Morlaix. »
Si le cas de cette entreprise de ramassage de poulets a pu être dénoncé, il existe bien d’autres cas similaires, dans le secteur de l’agroalimentaire mais aussi dans le tourisme ou la restauration. « L’heure du rassemblement n’a pas été choisie au hasard », précise Marc Corbel. « Ces salariés travaillent de nuit et pourront donc être présents. »
Dans une Tribune publiée au mois de décembre, Tristan Foveau, vice-président du cercle de réflexion L’Hétairie, Jean Miossec, secrétaire de l’association Digemer et un collectif de 13 associations appelaient, pour lutter contre la misère des étrangers privés de droits, à créer un accord provisoire de travail reprenant une proposition du Think Tank L’Hétairie.
S’il est légitime que l’État fixe les conditions du séjour des étrangers en France, aucun argument rationnel ne parvient à s’opposer à leur accorder
le droit de travailler légalement sur le territoire français à titre provisoire. Ce système existe déjà en Allemagne sous le terme de « Duldung » (qui renvoie à l’idée de tolérance).
Ce système permet aux étrangers de trouver un travail légal et de s’intégrer rapidement en apprenant la langue et en entrant dans la culture. Il permet également à l’État de lutter contre le travail illégal, de percevoir des recettes supplémentaires (impôts, cotisations, etc.) ou encore de limiter la délinquance suscitée.
Pour les signataires de la Tribune, « nos parlementaires doivent se saisir de cette mesure législative urgente en période de crise et entendre, à 170 ans de distance, la mise en garde de Victor Hugo à la Représentation nationale de l’époque : “ Législateurs, la misère est la plus implacable ennemie des lois ! ” ».
Accord provisoire de travail
Les réformes de ces dernières années en matière d’immigration vont globalement dans le sens d’un durcissement des conditions de délivrance des titres et de maintien en centre de rétention.
Dans une note publiée par L’Hétairie en novembre 2019, Jean-Baptiste Carbuccia propose d’instaurer un
accord provisoire de travail.
À l’instar de ce qui a pu exister en Allemagne, à la fin de l’année 2006, il permettrait d’envisager, selon la volonté du gouvernement, des mécanismes de régularisation.
Les étrangers en situation irrégulière disposant d’un accord provisoire depuis plusieurs années (par exemple, six ans pour les étrangers seuls, quatre ans pour les familles) recevraient un titre temporaire de séjour pour 18 mois empêchant un éloignement pendant ce délai.
Au terme des 18 mois, ceux qui vivent des revenus de leur travail et répondent à des conditions d’intégration comme la scolarisation
des enfants, recevraient une carte de résident de dix ans.
« Ce système, que l’on pourrait difficilement accuser d’être trop généreux, permettrait de régulariser la situation des étrangers déjà intégrés en France, tant par leurs attaches familiales que par leur présence et leur travail. » Alors que la dernière opération globale de régularisation, qui date de 1997, avait été largement critiquée par l’opposition de droite, ces régularisations s’avéreraient moins massives.
« Elles pourraient intervenir principalement par voie de circulaire, comme celle de 1997, la jurisprudence n’ayant évolué qu’à la marge et les circulaires influençant toujours l’appréciation des dossiers sans être susceptibles de recours dès lors qu’elles ne sont pas impératives », précise Jean-Baptiste Carbuccia. La circulaire indiquerait seulement les modalités d’usage, par le Préfet, des articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Article publié dans le Cap Finistère n°1338 du 15 janvier 2021
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