Erasmus pour tous
Dans une Tribune publiée le 23 avril, Raphaël Glucksmann se prononce pour un Erasmus pour tous les jeunes européens entre 16 à 25 ans.
« Il y a, dans cette campagne, un grand absent. Une sorte de fantôme.
On débat d’immigration (beaucoup), de commerce ou de politique intérieure. Les journalistes nous interrogent sur l’éparpillement à gauche, les petites phrases de X, le passé de Y, les humeurs de Z.
Mais jamais personne ne mentionne la jeunesse. Jamais, dans un débat de trois heures, n’est abordée cette question centrale : quel projet européen pour la jeunesse ?
Alors que les étudiants et les lycéens nous donnent une leçon de sérieux politique en se mobilisant en masse pour le climat et la biodiversité partout sur le continent, tout le monde fait comme si les jeunes n’existaient pas, comme si l’Europe n’avait rien à leur proposer. Sans doute parce que stratèges électoraux et communicants professionnels s’accordent à penser que la jeunesse ne vote pas ou qu’elle vote peu et qu’il n’y a donc pas d’urgence à lui parler.
Quelle erreur !
Quand on est profondément pro-européen, parce qu’on est convaincu que l’Europe est la bonne échelle pour répondre aux urgences écologiques et sociales - et plus encore : qu’elle est la grande aventure démocratique du siècle - il faut tout mettre en oeuvre pour qu’émergent des citoyens Européens.
Un peuple européen, oui.
Tout mettre en oeuvre, donc, pour que les ados qui grandissent aujourd’hui en France, en Espagne, en Grèce ou en Estonie aient le sentiment de partager un destin commun qui s’appelle l’Europe, qu’ils apprennent à connaître leur continent et leurs voisins. Tous, pas simplement une élite.
Le programme Erasmus est une immense réussite et les étudiants qui en bénéficient deviennent des pionniers de l’émergence d’une conscience, d’une existence véritablement européenne. Mais Erasmus ne concerne que 3 % des jeunes. 97 % de la jeunesse en est donc exclue.
Une élite européenne se forme. Elle circule, saute allégrement par-dessus les anciennes frontières, commerce, échange, se mélange, se marie. C’est heureux. Mais il n’y a rien de nouveau là-dedans : l’aristocratie du XVIIIe siècle était déjà profondément européenne. Est-ce cela que nous voulons pour l’Europe, la reconstitution d’une aristocratie transnationale laissant de côté les classes moyennes et populaires ? Voilà le type de logiques qui conduiront l’Union européenne dans le mur, qui la couperont toujours plus des peuples et nourriront toutes les révoltes populistes et nationalistes.
Alors nous faisons une proposition simple : Erasmus pour tous. Erasmus pour tous les jeunes Européens.
Tous les jeunes doivent pouvoir sortir de leur quartier, de leur ville, de leur village et faire l’expérience d’un séjour dans un autre pays de l’Union européenne. Une bourse allant jusqu’à 5 000 euros sera proposée à chaque jeune entre 16 et 25 ans sur la base d’un projet éducatif, de formation, professionnel ou associatif.
Ce projet permettra de développer les échanges entre les citoyens européens et débouchera sur la formation de cette conscience collective européenne sans laquelle le projet européen restera l’affaire d’une bureaucratie et d’une élite et donc ne survivra pas.
On ne démocratisera pas l’UE sans démocratiser le sentiment d’appartenir à une communauté de destin.
Il est plus que temps pour l’Europe de proposer un véritable destin européen à sa jeunesse ! »
article publié dans le Cap Finistère n°1268 du 3 mai 2019