Comment parvenir à l’union de la Gauche ? Dans La Genèse de la Gauche plurielle (éditions Presses universitaires de Rennes) Elisa Steier revient en détail sur les conditions qui ont permis la naissance, entre 1993 et 1997, de ce qu’on a appelé la Gauche plurielle. Le contexte n’est plus le même, mais cette expérience démontre que, lorsqu’il y a une volonté, il y a toujours un chemin.
Cap Finistère : Pourquoi cette étude ?
Et sur quelles sources vous êtes-vous appuyée pour la réaliser ?
Elisa Steier : Ce livre fait suite à mon mémoire d’Histoire. Frank Georgi, mon directeur de recherche, m’a suggéré de travailler sur ce sujet qui n’avait pas encore fait l’objet d’étude universitaire, sans doute en raison de son caractère relativement récent.
J’ai eu accès aux archives du PS et du PCF, notamment les comptes-rendus des bureaux et conseils nationaux. Celles des écologistes sont un peu plus dispersées mais plus transparentes. J’ai également consulté la presse de l’époque et mené des entretiens avec des dirigeants en responsabilité au début des années 90.
Mon mémoire a reçu le prix de la Fondation Jean-Jaurès en 2018 et j’ai donc pu l’éditer.
Cap Finistère : On a coutume d’utiliser le terme de « Gauche plurielle » pour qualifier le gouvernement de Lionel Jospin. Mais vous expliquez que les prémices de cette union remontent au début des années 90 et précisément à 1993.
Elisa Steier : Je montre dans cet ouvrage tout le travail préparatoire qui a permis aux partis de Gauche et écologistes de se retrouver au sein de ce qu’on a appelé la « Gauche plurielle ». Ce terme décrit parfaitement de quoi il s’agit : une alliance à Gauche, formée de plusieurs composantes.
Je me suis focalisée sur la période 1993- 1997, parce que c’est vraiment à la suite de la défaite législative de 1993 que commence ce processus. L’histoire de l’union de la Gauche est bien plus longue. On pourrait remonter au programme commun voire au Front populaire. Mais c’est bien en 1993 que le processus commence pour la Gauche plurielle : les socialistes réalisent qu’ils ne peuvent pas gagner seuls, les Verts changent de cap et abandonnent le ni Droite ni Gauche et Robert Hue, qui devient Premier secrétaire, cherche à sortir le PC de son isolement.
Cap Finistère : Quels sont les ingrédients qui ont permis à la Gauche et aux écologistes de gouverner de 1997 à 2002 ?
Elisa Steier : Il existe évidemment toute une série de raisons qui expliquent la naissance de la Gauche plurielle. Comme je viens de le dire, les partis sont prêts à discuter entre eux. Ça se traduit par les Assises de la transformation sociale, dès 1994, qui leur donnent l’habitude de discuter et de travailler ensemble.
Ensuite, il y a la personnalité des protagonistes. Dominique Voynet a joué un rôle essentiel pour ancrer les Verts au sein de la Gauche. Lionel Jospin, surtout après le score qu’il réalise à la Présidentielle de 1995, établit un rapport de force et devient incontournable.
Mais il ne faut pas oublier les facteurs extérieurs, comme par exemple la décision de Jacques Chirac de dissoudre l’Assemblée, qui a forcé la Gauche à s’unir plus tôt que prévu. En 1997, pour que la France puisse entrer dans la zone euro, Jacques Chirac veut engager une politique de baisse des dépenses publiques et estime qu’il doit disposer d’une nouvelle majorité pour mener une politique d’austérité.
Le mouvement social de novembre décembre 95 pousse également les partis de Gauche à s’unir autour des thématiques de pouvoir d’achat, d’égalité et de défense des services publics.
Les accords qui sont passés ne sont aucunement contraignants. Il n’y a pas de programme global mais une série d’accords bilatéraux. Et encore, pas entre tous les acteurs, puisque les Verts et le PCF n’ont pas passé d’accord. Et celui passé entre le PS et le PCF est minimal. Pourtant, électoralement, ce sont les partis qui se retrouvent au sein de la Gauche plurielle qui remportent la majorité à l’Assemblée. On ne sait pas si la dissolution décidée en 1997, alors que les Législatives auraient dû intervenir en 1998, a empêché la signature d’un programme commun et d’accords électoraux.
Cap Finistère : On sait que l’histoire de la Gauche plurielle se termine par le
21 avril 2002 et l’élimination de
la Gauche au second tour de la Présidentielle. Cette fin était-elle prévisible lorsqu’on étudie sa genèse ? Elisa Steier : Il est très difficile de répondre à cette question. Mais je ne crois pas que l’échec était inévitable. Compte tenu de la pluralité de la Gauche, je crois que les dirigeants de l’époque avaient trouvé la bonne formule avec la Gauche plurielle. D’autant que Lionel Jospin a exercé ses fonctions dans le cadre de la cohabitation, c’est-à-dire d’un régime bien plus démocratique où le Parlement jouait pleinement son rôle alors que les socialistes ne disposaient pas de la majorité absolue.
Ce qui me frappe le plus dans les scores du 21 avril, c’est le résultat des deux candidats trotskistes qui réunissent près de 10%, montrant ainsi qu’une partie de l’électorat voulait un coup de barre à Gauche. Quant au score de Jean-Marie Le Pen, il est dans la suite logique de ceux qu’il avait déjà obtenu auparavant passant de 14 à 16%.
Article publié dans le Cap Finistère n°1368 du 1e octobre 2021
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