Dans une tribune, publiée le 5 décembre, dans Libération, Anne Hidalgo et plusieurs parlementaires européens (Sylvie Guillaume, Nora Mebarek, Éric Andrieu) et français, (Olivier Faure, Olivier Jacquin, Patrick Kanner, Valérie Rabault, Boris Vallaud, Monique Lubin et Jean-Luc Fichet), appellent la Commission européenne à renforcer les droits des travailleurs des plateformes.
« Lors de sa dernière allocution télévisée, Emmanuel Macron annonçait vouloir atteindre rapidement le plein emploi dans notre pays. Si l’intention est louable, comment croire après la réforme de l’assurance chômage et son bilan en matière de droit du travail que cela ne se fera pas au prix d’une nouvelle augmentation de la précarité ? Préférant défiscaliser les pourboires, plutôt que d’augmenter les salaires, il cherche en réalité à favoriser l’activité plutôt que l’emploi, l’individu plutôt que le collectif. Tous les ingrédients pour mettre à mal notre modèle social contre lequel le Cheval de Troie de l’“ubérisation” – ou plutôt la
“plateformisation” – est lancé.
Pourtant, le 4 mars 2020, la Cour de Cassation qualifiait un chauffeur Uber d’“ indépendant fictif ”. Comme d’autres cours judiciaires françaises et européennes, elle a acté qu’une partie des travailleurs des plateformes devaient être considérés comme salariés. Depuis, le gouvernement procrastine et continue de davantage protéger les plateformes plutôt que les travailleurs qu’elles emploient. (...)
Ces dernières semaines, la stratégie spécieuse du gouvernement est apparue encore plus clairement. Alors qu’il jure, la main sur le cœur, être opposé à la création d’un “ tiers statut ” entre indépendance et salariat, il n’a de cesse de manœuvrer et d’entretenir malicieusement la confusion entre autonomie et indépendance, permise par le dévoiement du statut d’autoentrepreneur. En leur octroyant de maigres droits sociaux, il entend signifier aux juges que ces travailleurs sont une catégorie à part et ainsi éviter des requalifications. (...)
Dans sa mystification, le gouvernement bute sur une difficulté, celle du droit de la concurrence européenne. En effet, maintenir ces travailleurs dans un statut d’indépendants, donc d’entrepreneurs, tout en les poussant
à se regrouper pour aller négocier collectivement face aux plateformes, notamment sur les prix des prestations, n’est pas compatible avec le droit de la concurrence.
Nous prenons la plume, aujourd’hui, parce que nous croyons en l’esprit de justice et au respect du droit. Nous voulons préserver notre modèle social et que nous faisons face à un gouvernement qui a balayé, une par une, toutes les propositions alternatives qui lui ont été soumises depuis trois ans à l’Assemblée et au Sénat, notamment par les parlementaires socialistes. Opposés à un tiers statut, nous pensons que l’économie numérique peut se déployer sur la base du salariat, pour les “ indépendants fictifs ” et par une véritable amélioration du statut des vrais indépendants.
Nous appelons la Commission européenne, qui s’est saisie du sujet, à faire siennes ces recommandations. Nous saluons le commissaire européen, Nicolas Schmitt, qui envisage de les retranscrire dans son prochain projet de directive et qui fait d’ores et déjà face au lobby des plateformes qui brandit la menace de “ la perte de centaines d’opportunités de revenus ” ; ceci alors même que des plateformes comme Just Eat ou Gorillas montrent que le recours au salariat est viable.
Alors que le gouvernement français est actuellement le plus offensif d’Europe pour favoriser la dérégulation, nous nous mobilisons pour que la présidence française de l’Union Européenne permette d’avancer vers une harmonisation sociale par le haut et ne soit pas une entreprise de sape de la construction d’un socle de droits sociaux pour des travailleurs qui en sont dépourvus.
Nous refusons que l’économie digitalisée rime avec le travail plateformisé. Les 75 000 livreurs à vélo et chauffeurs VTC (chiffre URSSAF 2020) sont l’arbre qui cache la forêt qu’est cette entreprise de démolition dont l’issue est connue : le retour au paiement à la pièce. Le tâcheronnage ne peut devenir l’horizon du “nouveau monde”. »
Article publié dans le Cap Finistère n°1377 du 17 décembre 2021
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