Stéphane Junique est président d’Harmonie Mutuelle et
vice-président de la fédération nationale de la Mutualité française. Timothée Duverger est maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et chercheur associé au Centre Émile-Durkheim, auteur d’un ouvrage sur l’Histoire de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). Mais dans le livre d’entretiens qu’ils viennent de publier, L’égalité impossible ? Manifeste pour une solidarité active (Les petits matins), c’est d’avenir et de progrès dont il est question.
Cap Finistère : Pourquoi plaidez-vous pour la constitution
d’un « pôle des solidarités actives » ?
Timothée Duverger : Il convient d’abord de rappeler le contexte : la loi votée en 2014 a été un moment important pour tous les acteurs de l’ESS mais elle est encore insuffisamment appropriée. Il existe certes des initiatives et des dynamiques locales, à l’instar des pôles territoriaux de coopération économique, mais nous pensons qu’il faut donner un coup d’accélérateur.
Ce d’autant que la question sociale est de retour dans le débat public. Il faut bien avoir en tête qu’en France, neuf millions de
personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Cette question sociale est réapparue à l’occasion de l’élection présidentielle où deux France se sont opposées : en étant un peu caricatural, celle des gagnants de la mondialisation, contre celle des perdants, les électeurs d’Emmanuel Macron, contre ceux de Marine Le Pen.
Et enfin, tout cela intervient à un moment où l’État éprouve des difficultés à répondre à la croissance exponentielle de la demande sociale.
Avec Stéphane Junique, nous explorons donc dans ce livre les pistes qui pourraient permettre aux acteurs de l’ESS et aux mutuelles d’apporter des réponses à ces demandes.
Cap Finistère : Qui seraient les acteurs de ce pôle des solidarités actives ?
Timothée Duverger : Nous considérons ce livre comme un point de départ et non comme un point d’arrivée. Nous n’avons donc pas établi une liste. Les acteurs de ce pôle des solidarités actives seraient ceux qui sont définis dans la loi de 2014, à savoir les coopératives, les associations, les mutuelles, les fondations ou les entreprises agrées par l’État « Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale » (ESUS), qui s’appuient sur les principes de gouvernance démocratique, de but non lucratif et d’utilité sociale. Mais il peut y avoir d’autres partenaires comme les collectivités locales ou les TPE/PME qui participent de la coconstruction et de la coproduction de projets de territoires.
Nous proposons la création d’un label afin que chacun puisse savoir à qui il a affaire. Les frontières sont de plus en plus poreuses entre ce qui relève vraiment de l’ESS et des entreprises qui interviennent dans les domaines de la solidarité ou de la santé, comme les sociétés d’assurance. Les démarches de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) ne doivent pas introduire de la confusion. L’économie sociale et solidaire ne distribue pas de dividendes, elle agit pour l’intérêt collectif de ses membres ou l’intérêt général, pas pour des actionnaires.
Cap Finistère : De quoi serait composé le socle de droits universels garanti ?
Timothée Duverger : Nous proposons de nous appuyer sur le Compte personnel d’activité. Le CPA a été créé le 1er juin 2017, mais il faut maintenant le faire monter en puissance. En fusionnant le compte formation, le compte pénibilité et le compte d’engagement citoyen, il attache les droits sociaux aux personnes et non plus aux statuts pour prévenir les ruptures de parcours et accompagner au mieux les individus tout au long de leur vie. Parce que la sécurité de l’existence est la condition de l’exercice plein et entier de la liberté, nous proposons de garantir à travers lui un socle de droits universels autour du revenu, de la santé, du logement, de la formation et de la retraite.
Cap Finistère : Dans le domaine de la santé vous préconisez
d’insister plus fortement sur la prévention ?
Timothée Duverger : Les mutuelles ne sont pas dans une logique mercantile. Elles remboursent les soins mais elles ont aussi une mission de prévention. Or, aujourd’hui, un certain nombre de maladies chroniques sont liées au mode de vie ou à l’alimentation. Les actions de prévention permettent à la fois d’améliorer la santé des personnes et dans une logique d’investissement social d’éviter des dépenses sociales. Mais si presque tout le monde est d’accord sur le principe, la prévention n’est pas encore assez développée. Elle a besoin d’être beaucoup plus coordonnée. Le pôle de solidarité active pourrait jouer ce rôle dans les domaines de l’environnement, de l’éducation à la santé, de la santé au travail, du logement, de l’alimentation saine - bref dans le bien-être.
Cap Finistère : Que propose votre manifeste pour valoriser
l’engagement citoyen ?
Timothée Duverger : On ne mesure pas assez le rôle
déterminant que jouent les bénévoles en France. Les aidants familiaux, qui sont près de huit millions, sont mieux reconnus depuis la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015 mais pas encore suffisamment. La France compte treize millions de bénévoles et leur nombre ne cesse de progresser. Mais le bénévolat évolue. La moyenne d’âge augmente et il devient de plus en plus intermittent, dans une logique consommatrice. Cependant, cette nouvelle forme de bénévolat ne doit pas être perçue de manière négative car elle apporte du dynamisme, de nouveaux projets et elle permet de rompre avec une certaine routine. La question qui se pose maintenant est de concilier et d’accompagner toutes les activités professionnelles, familiales et associatives. Nous proposons la création d’un chèque engagement qui pourrait se traduire par des crédits d’heures pour les actifs, des heures de garde d’enfants ou en reconnaissance des compétences acuises dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Les Mutuelles ont tout intérêt à promouvoir l’engagement bénévole car, elles sont animées par des militants élus, ce qui, là aussi, les différencie des assurances privées. La solidarité suppose de développer les liens sociaux, d’encourager les engagements, pour créer une véritable société d’implication et de participation.
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