La gauche du réel
Dans La gauche du réel, publié par la Fondation Jean-Jaurès et les éditions de l’Aube, et préfacée par Gilles Finchelstein et Bernard Cazeneuve, le collectif Télémaque apporte sa contribution à la nécessaire refondation de la gauche réformiste. « Nous voulons, sans tabous, poser un certain nombre de débats », nous explique Antoine Colombani.
Cap Finistère : Qu’est-ce que le collectif Télémaque ? Et pourquoi ce nom ?
Antoine Colombani : Le collectif Télémaque rassemble un petit groupe de personnes, universitaires, hauts fonctionnaires, cadres dans le privé qui ont souhaité contribuer au débat public sur la nécessaire refondation de la gauche. Aucun d’entre nous n’exerce de responsabilité politique. Notre livre rassemble des contributions individuelles thématiques sur le marché, la mondialisation, la lutte contre les inégalités, l’écologie, l’Europe, la République… Chaque auteur apporte ses convictions, son expérience et parfois son expertise mais s’exprime en tant que citoyen. Télémaque signifie en grec « celui qui voit au loin », mais c’est aussi un personnage qui évoque la fidélité à un héritage, même quand les temps sont difficiles, mais aussi la volonté d’agir. Il résume bien notre état d’esprit.
Cap Finistère : Quel est cet héritage ?
Antoine Colombani : C’est clairement, pour nous, celui de la gauche réformiste ou « de gouvernement » que nous ne nous résignons pas à voir disparaître face aux divers prétendants qui entendent prendre sa place : d’un côté le centrisme façon Macron, de l’autre le populisme de gauche théorisé par certains. Aucune de ces deux propositions politiques ne correspond à ce qu’a pu incarner la gauche réformiste, avec son double souci des valeurs et du réel. D’autre part, il nous semble aujourd’hui essentiel de voir que la crise actuelle n’est pas conjoncturelle mais plus profonde : c’est l’identité politique de la gauche réformiste qui est en question. Il est indispensable de reconstruire une base idéologique solide car la gauche au pouvoir a manqué d’un horizon, d’un discours d’ensemble, permettant de donner du sens à son action. Il faut pour cela renouer avec une réflexion doctrinale, sans pour autant reconstituer des dogmes.
Cap Finistère : Quels sont, selon vous, les principales questions sur lesquelles la gauche doit clarifier sa position ?
Antoine Colombani : Elles sont nombreuses.Sans prétendre à l’exhaustivité, nous abordons dans le livre quelques thématiques qui nous semblent essentielles car il subsiste à gauche des ambiguïtés, des non-dits, parfois des hypocrisies, sur certains sujets.
Nous essayons ainsi d’aborder de front la question de l’économie de marché. Plus grand monde ne la conteste vraiment. Mais cette adhésion n’a jamais été pensée, ses termes n’ont pas été explicités. Ce non-dit a peut-être empêché la gauche de penser un projet de société clair et de mettre en adéquation ses paroles et ses actes. Pour nous, il faut remédier à cette carence pour reconstruire une critique des excès ou des dérives du capitalisme qui ouvre des perspectives de changements concrètes et réalisables. Vient ensuite le thème de l’écologie. Elle est au coeur des discours et des slogans mais pourquoi avons-nous tant de mal à la mettre au coeur de nos politiques ? Nous devons nous pencher sur notre rapport à la nature dans un projet fondé sur l’idée de progrès, sur les valeurs héritées des Lumières.
Il nous semble également que la gauche doit s’extraire d’oppositions stéréotypées dans lesquelles elle se laisse trop facilement enfermer. Par exemple, entre résignation à la « mondialisation libérale » et démondialisation, entre « Europe libérale » et « Europe sociale », entre méritocratie et « égalitarisme » éducatif, entre un supposé laxisme et les préoccupations sécuritaires, entre différentialisme culturel et tradition républicaine. Sur toutes ces questions nous nous plaçons dans la perspective d’une gauche fidèle à ses valeurs d’égalité, d’émancipation, mais qui souhaite aussi gouverner et pas simplement représenter ou s’en tenir à des postures. Cela implique de prendre en compte le réel, sans oeillères, et de ne pas craindre de soumettre à un examen critique, y compris du point de vue de nos valeurs, certaines idées répandues à gauche.
Une ligne directrice qui se dégage est la nécéssité pour la gauche réformiste de se réapproprier la notion de progrès et de progressisme. Non pas comme un slogan creux, mais comme une ambition collective à laquelle il faut donner un contenu concret.
Cap Finistère : Après la publication de « La gauche du réel » quels sont vos projets ?
Antoine Colombani : Notre seul projet est de contribuer au débat public. Nous espérons que ceux qui se reconnaissent dans la gauche réformiste se saisiront des questions posées par ce livre ! Une telle discussion est aujourd’hui indispensable à sa survie...
Article publié dans le Cap Finistère n° 1259 du 22 février 2019