La loi pour tous, tous pour la loi
Il est urgent de réformer le parlement. C’est la tâche à laquelle se sont attelé Dominique Raimbourg qui fut député de Loire Atlantique jusqu’en 2017 et son assistant parlementaire Philippe Quéré avec La loi pour tous, tous pour la loi. Ils ont exposé leurs propositions dans le dernier numéro de Recherche socialiste, la revue de l’OURS (Office universitaire de recherche socialiste)
Cap Finistère : Comment est née l’idée de "loi pour tous et tous pour la loi" ?
Philippe Quéré : À la fin de la législature 2012-2017, nous avons souhaité poursuivre nos travaux pour défendre, faire la pédagogie et proposer des pistes de réforme du Parlement. Alors que l’antiparlementarisme est revenu en force dans nos débats publics ces derniers années, que la campagne présidentielle avait été marquée par des offres politiques "populistes" au sens où des candidats (Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon et Emmanuel Macron) avaient joué avec des formes variées de "dégagisme" et sur-joué une relation directe au "Peuple", nous voulions ne pas abandonner notre combat pour un renforcement du Parlement dans notre vie démocratique.
Cap Finistère : L’intérêt général ne guide pas les législateurs ?
Philippe Quéré : Derrière la question du Parlement il y a effectivement la question de la loi. C’est un des angles utilisés pour critiquer un parlement trop lent, qui ferait des lois trop bavardes et de mauvaise qualité. Rappelons pour commencer que l’essentiel de l’initiative législative appartient au Gouvernement.
Par ailleurs, la faiblesse politique du Parlement (inversion du calendrier), sa faiblesse procédurale (parlementarisme rationalisé) et enfin sa faiblesse matérielle (moyens humains et financiers dérisoires au regard de la puissance de l’exécutif), peut effectivement conduire les députés à se réfugier dans une approche de la loi qui ne s’écarte pas de l’intérêt général, mais qui tend à une forme de confusion avec une politique publique. Cela peut se traduire par la volonté d’aller trop dans le détail des situations et cas particuliers, ce qui ne veut pas dire que cela ne soit pas fait aussi avec le souci de l’intérêt général, mais cela peut faire perdre à la loi son caractère général.
Pour rétablir sa souveraineté, et remettre le pouvoir exécutif dans son rôle d’exécution de la loi par des politiques publiques, il nous semble que les parlementaires devraient davantage se contraindre à rester sur la ligne de crête de l’élaboration d’une loi qui soit véritablement générale. Cela pourrait aussi probablement améliorer grandement sa concision et sa lisibilité.
Cap Finistère : "Tous pour la loi" signifie que les citoyens ne sont pas assez associés à l’élaboration des textes législatifs ? Et comment pourraient-ils l’être davantage
Philippe Quéré : Une chose que nous avons découvert en entrant, l’un comme député, l’autre comme assistant, à l’Assemblée nationale, c’est que celle-ci est en quelque sorte une "auberge espagnole". Les députés ne légifèrent pas dans une tour d’ivoire. Ils auditionnent en permanence, sur chaque sujet qu’ils ont à travailler, les syndicats de salariés comme d’employeurs, les associations d’usagers, collectifs divers, les universitaires spécialistes du sujet, les administrations centrales, etc.
Par contre il est vrai que pour un citoyen seul, il n’est pas facile de faire entendre son point de vue. Il est impossible à chaque député de repérer ces citoyens qui voudraient ou pourraient avoir des choses à dire. Mais il est également difficile à une personne de savoir auprès de qui et quand il est pertinent de faire valoir une expérience, une expertise ou une proposition.
Or, la démocratie, même représentative, est aussi la promesse d’une égale possibilité pour toutes et tous d’influer sur la fabrication de la loi. Au regard de cela, nous pourrions dire que la meilleure manière pour chacune et chacun d’exercer ce droit est d’être impliqué syndicalement, associativement, etc. Les corps intermédiaires sont des partenaires quotidiens du législateur. Et la loi ne peut pas être la somme de points de vue individuels, il convient que chacune et chacun d’entre nous, avant de vouloir faire entendre "son" point de vue au législateur, ai déjà mis celui-ci en discussion au sein de la société.
Cependant, cela ne peut pas exonérer le Parlement d’être le plus ouvert possible. C’est ce sujet qui a été travaillé plus particulièrement dans ce premier dossier en partenariat avec l’OURS dans la revue Recherche Socialiste. Cela fait déjà de nombreuses années, bien avant le nouveau monde..., que l’Institution et les parlementaires eux-mêmes ont expérimenté de nouvelles procédures. Des ateliers législatifs en circonscription, des formulaires pour recevoir les contributions citoyennes sur toutes les études d’impact de tous les projets de loi comme pour enrichir les travaux des Missions d’Information parlementaires. A l’occasion du travail sur la loi de Christiane TAUBIRA de lutte contre la récidive, nous avions également travaillé avec une association qui s’était proposé d’aller chercher des paroles de personnes qui ne se seraient jamais exprimées spontanément. Ainsi de nombreuses possibilités existent.
Nous avions récemment formulé des propositions pour avancer en ce sens à l’occasion de la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale. Malheureusement le nouveau monde n’est pas aussi progressiste et démocrate qu’il voudrait nous le faire croire.
Cap Finistère : Votre diagnostic semble largement partagé mais rien ne change ? Qui freine ?
Dominique Raimbourg : Il est difficile de répondre à cette question. De nombreux facteurs sont probablement à l’œuvre. Il ne faut surtout pas sous-estimer la pauvreté de notre Parlement. Les parlementaires sont débordés et manquent de moyens. Cela n’est jamais une circonstance favorable pour porter son regard loin. L’exécutif joue quant à lui le jeu du renforcement de son propre pouvoir. Un Parlement plus ouvert renforcerait sa légitimité politique et gagnerait donc en pouvoir, contre la figure du "Président de la République". Il conviendrait aussi que les parlementaires soient, au moins sur un tel sujet, parlementaires avant d’être de tel ou tel parti ou groupe politique. Cela demande du temps. Le renouvellement rapide en réalité des députés (qui en moyenne le sont moins d’un mandat et demi), ne favorise pas non plus le cheminement individuel.
Article publié dans le Cap Finistère n°1279 du 6 septembre 2019