Dans « La marque Macron » (éditions de l’Aube), sous-titrée « Désillusions du Neutre », Raphaël Llorca, doctorant en philosophie du langage et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, revient sur les origines du macronisme en étudiant son récit, ses valeurs et son esthétique.
Cap Finistère : Comment avez-vous eu l’intuition qu’il fallait, pour comprendre le macronisme, raisonner en termes de marque ?
Raphaël Llorca : Il y a en fait deux raisons. La première, c’est que les stratèges macroniens eux-mêmes ont adopté cette posture. Adrien Taquet, secrétaire d’État à l’Enfance aujourd’hui, mais qui était à la manœuvre à l’époque, l’a d’ailleurs ouvertement reconnu. Après avoir travaillé dans la publicité, en particulier dans l’agence Jésus et Gabriel, il a participé au lancement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron et s’est immédiatement retrouvé devant un triple défi : comment remporter, en quelques mois, une élection présidentielle sans parti, sans troupes, sans expérience ? Ils ont donc dû, en un très court laps de temps, créer à la fois une dynamique et de la cohésion en créant une marque.
La deuxième raison tient au rapport qu’Emmanuel Macron lui-même entretient avec les symboles du pouvoir. Dès 2015, dans une interview accordée à Éric Fottorino dans le magazine Le Un, il montre qu’il a une réflexion très pointue sur ce que représente le pouvoir en termes de signes et de symboles et revient sur le rapport que les Français entretiennent avec leurs dirigeants depuis la décapitation de Louis XVI.
Lorsque je parle de marque, ce n’est pas en référence au marketing politique mais au sens sémiologique, c’est-à-dire ce qui donne du sens. Une marque représente tout à la fois des valeurs, un récit et une esthétique. Tout symbole est lié à un récit et à un système de valeurs.
Cap Finistère : À vous lire, la marque Macron est extrêmement performante dans la conquête du pouvoir, mais beaucoup moins dans son exercice.
Raphaël Llorca : Oui, la marque doit, en théorie, donner de la cohérence et du sens. Mais le système s’est rapidement déréglé. Pour répondre à Donald Trump, Emmanuel Macron détourne son slogan et annonce « Make Our Planet Great Again ». Mais la réalité s’impose et quelques mois après, Nicolas Hulot démissionne, ce qui
provoque une vraie déconnexion entre le symbolique et le réel.
Cap Finistère : Si Macron est une marque, qui sont ses soutiens ? Des fans ?DesVRP ?
Raphaël Llorca : C’est en effet la question du rôle et de la fonction du parti qui est posée. Historiquement, les candidates et les candidats étaient issus de formations politiques. Emmanuel Macron inverse cette logique puisqu’avec lui, c’est le parti qui procède du candidat au point d’en partager les initiales.
Mais ça pose aussi la question de l’inscription dans le temps. Dans les années 70, certains se demandaient s’il pouvait y avoir un gaullisme sans de Gaulle. La puissance du corpus doctrinal et des valeurs ont permis au gaullisme de perdurer même de nombreuses années après la disparition du général.
Mais qu’est-ce que le macronisme sans Macron ? On voit bien qu’Édouard Philippe tente de se placer en recours éventuel, mais ça serait pour incarner une version de centre-droit, pas le macronisme originel de 2016/2017.
La puissance des partis repose sur des militants qui s’inscrivent dans l’histoire, qui partagent une certaine vision du monde. On ne retrouve pas cette dimension à LREM. Pour ses cinq ans d’existence, le mouvement a lancé la plateforme pourunecause.fr qui permet à chacun de proposer et de soutenir une cause qui lui tient à cœur, au risque qu’elles s’opposent. On a donc affaire à des individus, plus ou moins reliés entre eux, mais qui ne partagent pas une vision du monde et qui peuvent s’engager pour quelque temps avant de passer à autre chose. Cette dépolitisation correspond cependant à un mouvement de fond annoncé par le sociologue Gilles Lipovetsky qui disait que « la politique est sortie de l’affirmation identitaire de l’individu », depuis au moins 40 ans. Il n’est pas certain que ce mouvement, créé en 2016, pour accompagner l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, soit encore le bon outil pour une deuxième candidature en 2022.
Article publié dans le Cap Finistère n°1353 du 30 avril 2021
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