Depuis quelques temps les oreilles du président du Conseil Constitutionnel
ont tendance à siffler. En effet, on entend de plus en plus se développer, sur un air complotiste, une ritournelle qui consiste à dénoncer le « pouvoir des juges » et, en particulier, ceux du Conseil Constitutionnel qui s’arrogeraient des prérogatives que seul le peuple devrait détenir.
Or, le Conseil Constitutionnel se contente d’accomplir la mission que lui a fixé la constitution de 1958, comme Laurent Fabius l’a expliqué aux étudiant-es en droit de la fac de Brest à l’invitation de Sylvie Salles et Jean-Jacques Urvoas.
« La différence entre les fusées et les institutions, c’est que la trajectoire des fusées est prévisible mais pas du tout celle des institutions » a tenu à préciser d’emblée Laurent Fabius. Dans l’esprit des rédacteurs de la 5eme république, le Conseil constitutionnel devait servir à surveiller le parlement. Même si la majorité gaulliste de l’époque était pléthorique, il fallait tout de même se méfier de parlementaires qui pourraient être tentés de s’émanciper du président ou du premier ministre. Contrairement à la 4e République qui était un régime qualifié de légicentré dans lequel il n’y avait aucune limite à la loi, la 5e serait dotée d’un conseil constitutionnel.
Cette nouvelle institution fut considérée comme « le chien de garde de l’exécutif » et, au début, son activité était plutôt réduite. Cependant, au fil des années, ses missions vont s’élargir.
La première bifurcation de sa trajectoire initiale intervint le 16 juillet 1971. Les « sages » décident en effet ce jour-là d’élargir leurs références aux principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, du préambule de la constitution de 1946 et du bloc de constitutionalité qui vise à préserver les grands principes du droit comme les libertés d’expression, d’association, le droit de grève ou la laïcité. Ils ne s’en tiennent donc plus, uniquement à la Constitution.
Une deuxième variation de trajectoire intervient en 1974. Jusqu’à ce moment seuls le président de la République, le premier ministre ou le président de l’Assemblée et du Sénat pouvaient saisir le conseil constitutionnel. Giscard permet à 60 parlementaires, donc à l’opposition, de le saisir. Ce n’est pas encore une révolution mais le nombres d’affaires traitées passe tout de même de 4 à 4 à 20 à 25 par an.
Mais le vrai changement intervient avec la QPC (Question prioritaire de Constitutionalité) votée en 2008 et entrée en application en 2010. « Cette réforme change deux éléments fondamentaux » a expliqué Laurent Fabius « D’abord, n’importe quel justiciable peut saisir le conseil constitutionnel s’il considère qu’une loi n’est pas conforme à la Constitution. Ensuite, toutes les lois déjà votées peuvent être contestées.
Pourquoi le conseil Constitutionnel Français peut faire l’objet de ce genre d’attaques, totalement inconcevables chez nos voisins allemands ou américains ? Là encore, il faut se pencher sur les genèses des institutions. Aux États-Unis la cour suprême a été mise en place au moment de la déclaration d’indépendance et de l’adoption de la constitution. Elle est donc consubstantielle de la démocratie et par conséquent, personne n’imaginerait la remettre en cause.
On constate un peu le même phénomène pour l’Allemagne même sur la cour est plus récente. Le tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne, plus communément appelé cour de Karlsruhe, figure dans la constitution allemande, adoptée en 1949. Là encore, la cour constitutionnelle est liée à l’idée même de démocratie.
Il n’en est pas de même en France. Comme l’a expliqué Laurent Fabius, notre cour ne date que de 1958, mais surtout, la démocratie lui préexistant. Même sans Conseil constitutionnel, les 3e ou 4e République étaient des régimes parfaitement démocratiques et même, sur bien des aspects, plus démocratiques que la 5e République.
« C’est le propre des démocraties avancées de voter des lois, mais à l’intérieur de normes supérieures » a insisté Laurent Fabius qui a rappelé que la collégialité est un gage d’indépendance et d’impartialité. Et comment être certain que les 9 sages sont indépendants : « il faut qu’ils n’aient rien à redouter ou à espérer ». Tant que les juges constitutionnels répondront à ces deux critères, l’institution pourra mener à bien sa mission.
Article publié dans le Cap Finistère n°1386 du 18 mars 2022
Partager |