Labour : les défis de Keir Starmer
En élisant, massivement Keir Starmer (56,2%), les travaillistes britanniques ont clairement tourné la page Jeremy Corbyn, et se sont donné les moyens de revenir au pouvoir après 4 défaites successives estime Thomas Godard, secrétaire de la section socialiste de Londres, et membre du Labour Party.
Cap Finistère : Pourquoi la défaite du Labour semble avoir été un traumatisme pour les Travaillistes ? Ce n’est pas la première fois dans leur histoire qu’ils perdent une élection.
Thomas Godard : Ce n’est pas la première fois mais c’est la pire défaite, en nombre de sièges, depuis 1935. C’est surtout la 4e défaite d’affilée qui permet aux conservateurs de se maintenir au pouvoir depuis plus de 10 ans. En fait, c’est dès 2017 que Jeremy Corbyn aurait dû se retirer. C’est en tout cas ce que font habituellement les leaders du Labour après un échec. Gordon Brown ou Ed Miliband s’étaient retirés d’eux-mêmes. Mais, il y a deux ans, tout le monde n’était pas d’accord sur l’interprétation du premier vote des Britanniques qui intervenait après le référendum sur le Brexit. Les sondages étaient si mauvais pour le Labour que les partisans de Corbyn sont parvenus à faire passer une courte défaite pour une victoire d’autant que les travaillistes avaient gagné des circonscriptions. Les soutiens de Jeremy Corbyn expliquaient que le contexte exceptionnel justifiait son maintien à la tête du parti. L’élection de l’année dernière était donc le moment de vérité pour le Labour. Or, cette 2nde défaite, pire que la première, ne pouvait que se traduire par un changement de leader.
Cap Finistère : Comment s’est déroulé le vote ? Qui pouvait voter ?
Thomas Godard : Le vote, au sein du Labour est bien plus simple qu’auparavant. Il y a encore quelques années, on faisait la différence entre plusieurs collèges : les adhérents du parti, les adhérents des syndicats et les membres du parlement. Aujourd’hui, le principe est : un électeur, un vote. Le Labour compte environ 500 000 adhérents. A cela il convient d’ajouter les 250 000 adhérents aux syndicats affiliés qui peuvent également participer au vote. Et, pour finir, il y a les "registered supporters". Ce sont des sympathisants qui, pour 25 livres, peuvent également participer au vote. Ils étaient assez nombreux en 2015, lorsqu’il n’en coûtait que 3 livres, mais très peu cette année.
Le vote le plus important portait sur le choix du leader mais il fallait aussi élire le "vice-leader" qui accompagne le leader. Le vote s’est déroulé, sans difficulté sur internet à l’issue d’une campagne qui a duré plusieurs mois.
Cap Finistère : Quelles étaient les options qui s’offraient aux électeurs du labour ?
Thomas Godard : Il y avait trois candidats pour diriger le parti. Rebecca Long-Bailey était considérée comme la représentante de la tendance Corbyn, quasiment son héritière. Jamais, durant la campagne, elle n’a esquissé le début d’une autocritique.
Lisa Nandy a toujours été très critique vis à vis de Corbyn. Au point d’avoir joué un rôle de premier plan dans le "coup d’état" lancé par des parlementaires contre la direction du parti en 2016. Députée du Nord de l’Angleterre, elle est élue d’une circonscription largement pro-Brexit.
Keir Starmer n’est parlementaire que depuis 2015. Auparavant, il était directeur des poursuites publiques après avoir été avocat. C’est donc un juriste, très minutieux. Là où Corbyn aimait afficher des principes et des valeurs, lui aime dérouler des arguments précis et expliquer ses prises de position.
Cap Finistère : Keir Starmer est souvent qualifié de centriste. Que faut-il entendre par là ? Qu’il est moins à gauche que Corbyn ? Où qu’un nouveau Tony Blair vient de prendre la tête du Labour ?
Thomas Godard. Non. Keir Starmer appartient à ce qu’on appelle au Royaume-Uni la « Soft left ». Il n’est pas "centriste", au sens français du terme mais il occupe une position "centrale" dans le parti. C’est plus un retour aux années Ed Miliband (qui lui-même a réintégré le shadow cabinet) qu’aux années Blair. Le vote des adhérents en sa faveur est très net. Et l’échec des candidats pro-Corbyn à tous les niveaux de ce scrutin interne montre qu’ils ont voulu tourner la page, et surtout retrouver l’unité du parti, mise à mal par 5 années de luttes intestines entre pro- and anti-Corbyn.
Il doit maintenant apaiser et rassembler le Labour. Tout au long de sa campagne, il a été très clair sur son objectif : permettre aux Travaillistes de revenir au pouvoir. Il n’a jamais attaqué Corbyn de front mais il a mis en avant son profil bien plus " premierministrable" que son prédécesseur.
Dès sa première intervention en tant que leader, Keir Starmer s’est excusé, au nom du parti, pour les relents d’antisémitisme des dernières années. Non pas pour accuser Jeremy Corbyn d’être antisémite, mais pour annoncer qu’avec lui, l’heure n’était plus aux tergiversations ou aux ambiguïtés.
Maintenant il doit rassembler un parti profondément divisé. Il a commencé en composant un shadow cabinet dans lequel siègent des représentants de toutes les composantes du Labour contrairement à son prédécesseur qui ne s’appuyait plus que sur une partie de plus en plus réduite des parlementaires qui lui restait fidèle.
Article publié dans le Cap Finistère n°1309 du 24 avril 2020