Trop longtemps, le Parti Socialiste a refusé d’affronter la question de la laïcité et aujourd’hui, nous sommes face à des phénomènes communautaristes inquiétants, a déclaré la sénatrice Laurence Rossignol, à la tribune du Congrès d’Aubervilliers.
Cap Finistère : Pourquoi as-tu choisi d’intervenir sur la question de la laïcité ?
Laurence Rossignol : J’ai été très assidue à Aubervilliers, j’ai écouté toutes les interventions et il m’est apparu que la question de la laïcité et de la République étaient absentes au début du congrès. J’ai trouvé inquiétant que des sujets aussi essentiels n’étaient pas abordés. C’est une question majeure pour la société française et c’est un sujet sur lequel la gauche n’est pas à l’aise. Mais il n’était pas possible de faire l’impasse au congrès de la Refondation sur cette question. Dans les dernières années, Manuel Valls en parlait mais le parti s’est peu exprimé. Je pense que cela s’explique en partie par des pratiques clientélistes dans certaines collectivités locales qui font le lit de communautarismes.
Cap Finistère : Comment se manifeste le refus de la République que tu as dénoncé ?
Laurence Rossignol : J’observe depuis un certain temps l’expansion de l’emprise religieuse, en particulier dans les quartiers populaires. Deux courants, particulièrement prosélytes et interventionnistes, cherchent à contrôler la manière dont les gens doivent vivre : l’Islam politique et le courant évangéliste. Cette emprise du religieux favorise le communautarisme et met en cause le vivre ensemble. Les femmes en sont souvent les premières victimes. Quand la loi religieuse cherche à s’imposer aux individus, elle outrepasse ce que la République lui donne comme espace. Plusieurs enquêtes révèlent que pour un nombre non négligeable de citoyens, la République et la religion constituent les deux sources de la loi. Or, seule la loi de la République s’impose à tous.
Cap Finistère : Quand, dans ton intervention, tu parles « des nôtres », à qui fais-tu référence ?
Laurence Rossignol : Ce sont les habitants des quartiers populaires qui sont les premiers concernés. La fonction du Parti Socialiste est de défendre ceux qui n’ont que leur force de travail, les ouvriers, les salariés. Or, ce sont celles et ceux pour qui nous nous battons qui subissent cette emprise du religieux.
Cap Finistère : Comment faire pour que les petites filles reviennent jouer dehors ?
Laurence Rossignol : D’abord, il faut tenir un discours ferme. Non pas contre les religions mais sur les valeurs de la République qui garantissent l’égalité entre les femmes et les hommes et qui accordent à chaque citoyen les mêmes libertés et les mêmes droits. On a su le faire avec l’église catholique en légalisant et en remboursant l’avortement ou en instituant le mariage pour tous. Nous devons sans cesse rappeler que la République protège. Voilà pour le discours à tenir. Mais il faut aussi agir. Le rôle de l’école est prépondérant. De plus, nous devons aussi utiliser les leviers de la politique de la ville. Trop longtemps nous nous sommes accommodés de la politique des grands frères qui a accompagné un mouvement régressif pour les filles. Que constate-t-on aujourd’hui ? Que jusqu’à 11-12 ans, les filles participent à des activités, comme les garçons. Mais à partir de 12 ans, elles disparaissent de l’espace public et sont confinées dans l’espace privé alors que les garçons, eux, ont le droit de pratiquer les sports ou les activités qu’ils veulent. Il faut donc une politique de la ville volontariste appuyée sur l’éducation populaire pour veiller à la mixité des activités que peuvent pratiquer tous les jeunes. Cela passe par le travail des éducateurs et des travailleurs sociaux.
Cap Finistère : Deux jours avant le discours d’Emmanuel Macron devant les évêques, tu déclarais, à la fin de ton intervention, ne rien attendre du gouvernement. C’était prémonitoire ?
Laurence Rossignol : C’était une formule de congrès peut-être un peu expéditive. Cependant, nous avons affaire à un président et à un gouvernement caméléon qui adaptent leurs discours selon leurs interlocuteurs et qui disent globalement ce qu’ils veulent entendre. On constate que le rapport qu’entretient Emmanuel Macron avec la nation s’accommode très bien des communautarismes. En outre, je suis en désaccord total avec une phrase qu’on entend très souvent dans la bouche des soutiens du président de la République « C’est l’État qui est laïc, mais la société ne l’est pas ». Or, à quoi peut bien servir un État laïc si la société ne l’est pas ? J’ai bien conscience que nous sommes collectivement mal à l’aise lorsque nous abordons ces sujets mais le PS, dans sa phase de refondation, ne peut faire l’impasse sur ces questions.
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