Le double défi d’Andrea Nahles
avec Nicolas Stallivieri
Le SPD, dirigé pour la première fois depuis sa création, il y a 150 ans, par une femme, Andrea Nahles, est confronté à un double défi, nous explique Nicolas Stallivieri, conseiller consulaire élu en Allemagne du Nord : il doit à la fois se réformer en interne tout en participant au gouvernement de grande coalition.
Cap Finistère : Qui est Andrea Nahles, la nouvelle présidente du SPD ?
Nicolas Stallivieri : Andrea Nahles est une figure de l’aile gauche du SPD, dont elle a fondé puis longtemps animé le principal forum : DL21. Elle fut la secrétaire générale du parti social-démocrate allemand de 2004 à 2014 mais elle fut surtout ministre du Travail dans la précédente grande coalition, entre 2013 et 2017. C’est elle qui a mis en place, en 2015, le salaire minimum, vieille revendication des sociaux-démocrates. Il faut bien se rendre compte que l’instauration de ce salaire minimum de 8,5 euros de l’heure a donné lieu à d’importants débats en Allemagne où une partie du patronat annonçait une catastrophe économique s’il était mis en place. Chacun voit aujourd’hui qu’il n’en est rien et une commission paritaire de dialogue social, associant syndicats et patronat est chargée de fixer son montant.
Cap Finistère : Sur quel projet a-t-elle été élue ? Quels sont les défis qu’elle va devoir relever ?
Nicolas Stallivieri : Andreas Nahles était la candidate de la direction du SPD. Elle était opposée à une autre femme, Simone Lange, maire de Flensburg en Schleswig-Holstein, qui présentait une candidature plus « militante ».
C’est elle qui a convaincu les adhérents de voter en faveur de la grande coalition en expliquant que l’accord signé avec la CDU et la CSU permettait de faire avancer plusieurs dossiers. Elle fait le pari qu’il est possible, à la fois, de réformer le parti, mais aussi de participer au gouvernement et d’y porter des mesures de progrès social et écologique.
Cap Finistère : Le SPD n’avait pourtant annoncé ne plus vouloir gouverner avec la CDU ?
Nicolas Stallivieri : Oui, à l’annonce des résultats des dernières élections législatives, le SPD avait annoncé ne pas vouloir intégrer à nouveau une grande coalition avec la CDU d’Angela Merkel. Cependant, suite à l’échec des discussions entre la CDU, les libéraux et les Grunen (Coalition Jamaïque) les sociaux-démocrates ont finalement accepté, à l’invitation du président fédéral Frank-Walter Steinmeier (SPD), de s’engager dans une nouvelle coalition sur la base d’un accord contraignant et longuement négocié. Cette décision est aussi et avant tout le résultat d’un débat public et interne puis d’un référendum militant qui a validé la participation de ministres sociaux-démocrates au travail gouvernemental dans le cadre de l’accord de coalition.
Cap Finistère : Dans quel état trouve-t-elle le SPD ?
Nicolas Stallivieri : Je crois que les sociaux-démocrates allemands se sont rendu compte que leur parti est à la croisée des chemins et doivent répondre à plusieurs défis. D’abord, la montée de l’extrême-droite qui a réussi à constituer un groupe parlementaire au Bundestag, le troisième en nombre de députés (après ceux de la CDU/CSU et du SPD). Au départ Alternativ fur Deutschland était un parti euro-sceptique se présentant lui même comme anti-euro mais pas anti-Europe. Mais il s’est rapidement transformé en un mouvement national-conservateur puis d’extrême droite qui réalise ses meilleurs scores dans les zones rurales, parmi les électeurs des classes populaires. Au Bundestag, ses élus sont dans la provocation permanente et sont très présents dans les médias.
Ensuite, les sociaux-démocrates allemands se sont rendu compte qu’ils ne sont pas épargnés par la crise qui frappe la majorité des partis socialistes et sociaux-démocrates européens. L’hyper-popularité dont a bénéficié Martin Schulz s’est très vite transformée en hyper impopularité.
Face à ces défis, Andrea Nahles s’est donnée deux ans pour repenser complétement le profil et le fonctionnement du SPD. Elle a initié et accompagne un cycle de conférences régionales et nationales pour actualiser son programme et l’adapter aux nouvelles réalités sociales et aux transformations à l’oeuvre dans le monde du travail. Elle veut aussi rendre le SPD plus démocratique, plus divers, plus écologique et plus digital. Il faut préciser que ce débat se déroule au sein du parti mais aussi à ses interfaces avec la société civile et les autres partis de gauche grâce à des forums de discussion et d’action commune comme la Progressive Soziale Plattform ou des fondations, en particulier la Friedrich-Ebert-Stiftung, think tank solidaire très actif.
Mais tout ce processus se déroulera dans un calendrier électoral compliqué, puisque plusieurs élections interviendront dans les Ländern, en Bavière et en Hesse. Et se profile aussi, l’année prochaine, le scrutin européen.
Cap Finistère : Justement, comment s’annoncent ces élections européennes pour les sociaux-démocrates ?
Nicolas Stallivieri : Le SPD est sans doute le parti allemand le plus européen. Certains membres du SPD ont pu être tentés, à un moment, de rejoindre Emmanuel Macron. Cependant, il est maintenant clair pour eux que son gouvernement mène une politique de droite et les sociaux-démocrates allemands siégeront bien dans le groupe socialistes et démocrates et pas dans celui des libéraux.
Cap Finistère n°1228 du 25 mai 2018