Le foot va-t-il exploser ?
Grands amateurs et connaisseurs du monde du football, Richard Bouigue, premier adjoint PS à la mairie du 12e arrondissement de Paris et responsable du Pôle sports à la Fondation Jean-Jaurès, et Pierre Rondeau, économiste du sport et professeur à la Sports manager School, viennent de publier Le foot va-t-il exploser ? (Fondation Jean-Jaurès, éditions de l’Aube).
Cap Finistère : Pourquoi ce livre ?
Richard Bouigue : Nous avons voulu faire œuvre pédagogique, politique et démocratique. Que de bêtises n’avons-nous pas entendu, il y a un an, à l’occasion du transfert de Neymar au PSG ! Certains y voyaient la preuve de la victoire du libéralisme, d’autres, moralisateurs, y voyaient la fin du football, victime de l’argent. Nous avons donc voulu expliquer l’économie du football. Oui, elle se porte plutôt bien avec un chiffre d’affaire en hausse, des clubs qui se désendettent, et des spectateurs qui remplissent les stades. Mais il faut aussi voir le revers de la médaille : les profondes inégalités, la précarité dont souffrent de nombreux joueurs.
A l’approche des élections européennes ce livre a aussi un sens politique puisque nous voulons interpeller l’ensemble de la gauche sur les effets du libéralisme mais surtout sur les solutions que nous pouvons mettre en œuvre pour réguler ce marché.
Et enfin, il s’agit aussi d’une œuvre démocratique puisque nous voulons que chacun s’empare de ce sujet et comprenne les enjeux.
Cap Finistère : Que proposez-vous pour rétablir l’équité entre les clubs ?
Pierre Rondeau : Nous avançons plusieurs propositions qui vont toutes dans le même sens : la régulation du système pour corriger les inégalités et redonner un intérêt aux championnats. Car, si on laisse perdurer ce système, les amateurs risquent de se détourner du foot. En effet, en l’état actuel, compte tenu des capacités financières de certains clubs, le vainqueur de la compétition est connu avant même le début de la saison.
En nous inspirant de ce qui existe déjà dans d’autres pays, ou dans d’autres sports, nous défendons par exemple la taxe Coubertobin (Contraction de Coubertin et de Tobin) : il s’agirait d’une contribution d’1% sur tous les transferts de joueurs qui alimenterait un fonds de développement pour aider, équitablement, les clubs. Nous préconisons de moduler cette taxe en fonction de l’âge des joueurs afin que les clubs qui font un effort de formation ne soient pas « pillés ». On pourrait aussi plafonner les salaires et imposer, en cas de dépassement, une taxe, qui alimenterait ce fonds de développement. Nous avançons plusieurs autres propositions, comme la limitation du mercato aux périodes non-sportives pour limiter les incertitudes. A chaque fois, nous défendons une vision keynésienne de régulation du marché.
Cap Finistère : Pensez-vous que le foot professionnel puisse se réformer spontanément ou faudra-t-il une crise pour qu’il le fasse ?
Richard Bouigue : Aucun système ne se réforme spontanément. Mais nous ne souhaitons pas qu’une crise éclate, au contraire. C’est pour ça que nous voulons qu’un vrai débat démocratique s’engage et nous pensons que les élections européennes constituent une opportunité car les élus doivent se saisir de cette question qui passionne des millions d’Européens. Et l’Europe est le bon échelon pour commencer à réformer le football.
Cap Finistère : L’attribution des droits de diffusion est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les clubs ?
Pierre Rondeau : A en croire les dirigeants des clubs il s’agit d’une excellente nouvelle : avec 1, 1 milliards d’euros, le championnat français joue désormais dans la cours des grands. Cependant, à y regarder de plus près on peut légitimement nourrir des inquiétudes. L’économie du football est très « télé-dépendante ». 50 à 60% des budgets des clubs sont basés sur les droits de diffusion. L’exemple anglais doit nous alerter. Lorsque la chaine qui détenait les droits des 2e, 3e et 4e divisions anglaises a fait faillite, faute de téléspectateurs, 15% des clubs ont mis la clé sous la porte.
A ce risque, il faut ajouter que les conséquences de cette augmentation des droits de diffusion auront un impact direct sur les consommateurs qui devront s’abonner à plusieurs chaines payantes pour suivre les matches. On peut évaluer à environ 80 euros le prix que devra débourser un amateur qui souhaite suivre tous les matches importants. Le modèle économique de Médiapro semble très fragile car il devrait, pour être rentable, attirer 7 millions d’abonnés prêts à payer 15 euros, uniquement pour le ligue 1 française.
Nous sommes à un carrefour et c’est maintenant que nous devons jeter les bases du foot que nous voulons dans 30 ans : un sport à deux vitesses avec quelques grands clubs dominant tous les autres et rien pour les amateurs ? Ou un football régulé qui garantisse une compétition équitable et offre un spectacle de qualité.
Des solutions existent. Nous en avançons plusieurs dans ce livre. A chacun de s’en saisir pour que s’instaure un débat démocratique.
Cap Finistère n°1230 du 8 juin 2018