Alors que le gouvernement conservateur de Theresa May est en proie à de graves difficultés, les travaillistes ne semblent pourtant pas en capacité de représenter une alternative crédible. Thomas Godard, secrétaire de la section socialiste de Londres nous explique ce paradoxe.
Cap Finistère : Peut-on dire que le labour traverse une grave crise ?
Thomas Godard : C’est toute la vie politique britannique qui est en crise depuis le vote pour le Brexit. Mais pour le Labour, la crise remonte à l’élection de Jeremy Corbyn. Son élection a déclenché une vague d’adhésions de militants qui le soutiennent. Mais le groupe parlementaire lui est très majoritairement hostile. A ce premier clivage, il faut rajouter celui qui existe entre les adhérents des bastions historiques du nord désindustrialisé, favorables au Brexit et ceux des grandes villes du sud comme Londres plus à l’aise socialement, favorables au Remain. Ces positions sont difficilement réconciliables.
Cap Finistère : Justement, quelle est la position du labour, s’il en a une, sur le Brexit ?
Thomas Godard : Jeremy Corbyn est obligé de tenir compte de cette réalité et tente de tenir les deux bouts de la chaine. Le Labour a une position mais elle est très difficile à tenir. Elle tient en deux points : d’abord, la préservation des emplois au Royaume Uni. C’est sur ce critère que sera jugé l’accord qu’est en train de négocier Thérèsa May. Ensuite, Jérémy Corbyn défend le respect du vote en faveur du Brexit et donc le refus d’un nouveau référendum. Or, il est clair que le Brexit se traduira ici par des pertes d’emplois. Interrogé par un journaliste, le leader des travaillistes n’a pas pu répondre clairement à la question : le Brexit est-il une bonne ou une mauvaise chose pour le Royaume Uni ? car une réponse claire aurait déplu à une partie de l’électorat travailliste. C’est en raison de cette ambiguïté que le Labour ne tire pas vraiment profit des difficultés du gouvernement. .
Il faut aussi se rappeler qu’une partie des travaillistes ne voyaient pas d’un bon œil l’entrée du Royaume-Uni dans le CEE considérant que le marché unique représentait une victoire pour le capitalisme. De plus le Labour est très attaché à la souveraineté du parlement. Il y a donc toujours eu un fort courant eurosceptique au sein du parti.
Cap Finistère : Pourquoi la section socialiste de Londres apporte son soutien au mouvement People’s vote ?
Thomas Godard : Il ne s’agirait pas d’un nouveau vote pour ou contre le Brexit mais d’un vote sur le texte de l’accord qui sera trouvé entre le gouvernement britannique et l’Union européenne. Seul un vote populaire pourrait revenir sur un autre vote populaire.
Et il ne s’agirait pas d’un choix binaire pour ou contre mais d’une question à trois réponses possibles : pour l’accord, contre l’accord et retour au sein de l’UE ou contre l’accord et donc hard Brexit. Le 23 juin 2016, personne ne connaissait vraiment les conséquences d’un éventuel Brexit. Là, après avoir vu concrètement ce que signifie un départ de l’Union européenne, et surtout sur la base d’un texte, le débat se présenterait différemment.
Cap Finistère : Qu’est-ce qui est précisément reproché à Jeremy Corbyn ?
Thomas Godard : Dès qu’il a été élu à la tête du labour, Jérémy Corbyn a été attaqué sur les liens qu’il aurait entretenus avec des mouvances terroristes, au Moyen-Orient mais aussi en Irlande du Nord. Mais Jeremy Corbyn n’a jamais réussià balayer ces accusations en prenant une position claire condamnant l’antisémitisme. Parmi les nouveaux adhérents qui sont arrivés au Labour à la suite de son élection, certains ont des positions très ambiguës vis-à-vis de l’antisémitisme, et plusieurs ont dû être exclus. Le parti a donc été obligé de prendre des mesures sur cette question. Mais le NEC, l’équivalent du bureau national pour le PS, a refusé de reprendre la définition de l’antisémitisme communément admise par les associations anglaises (celle de l’International Holocaust Remembrance Alliance) pour en retirer quelques points, qui portent notamment sur les attaques contre Israël. Donc les électeurs voient bien que le Labour n’est pas clair et en plus les conservateurs trouvent en Jeremy Corbyn un épouvantail contre lequel ils sont prêts à mettre de côté leurs divergences.
Cap Finistère : Faut-il s’attendre à un changement de direction au sein du labour ?
Thomas Godard : Pas dans l’immédiat. La base du parti continue de soutenir Corbyn. Les pro-Remain ont déjà tenté un putsch en interne en 2016 mais ils ont échoué. On parle ici de la création d’un parti rassemblant les pro-Remain du Labour, des conservateurs et des libéraux. Mais le système électoral britannique est conçu pour le bi-partisme. L’échec du SDP (parti social-démocrate) dans les années 80 est encore dans toutes les mémoires. Les plaies de la période Blair ne sont pas encore cicatrisées et les divisions au sein du Labour sont très profondes.
Donc, on ne voit pas ce qui permettrait de faire changer cette situation. Il faudra tout de même regarder attentivement la conférence annuelle du parti qui se tiendra ce mois-ci pour vérifier si les lignes peuvent, ou non bouger, notamment sur le People’s vote.
En savoir plus sur la section des socialistes de Londres et le mouvement people’s vote
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