Son logo est un sourire mais depuis le début du confinement Amazon ne fait sourire ni ses salariés, ni ses concurrents, ni la Justice Française qui l’a obligé à limiter ses ventes aux produits de première nécessité. Dans « Le monde selon Amazon » (Cherche midi), Benoît Berthelot revient sur l’histoire de cette entreprise, basée à Seattle, qui défend un projet de société où seul le client est roi.
Cap Finistère : A plusieurs reprises vous qualifiez Jeff Bezos de « libertarien ». En quoi ses convictions politiques rejaillissent-elles sur le fonctionnement de son entreprise ?
Benoît Berthelot : Oui, j’arrive à cette conclusion en reprenant toutes ses actions ou prises de position depuis sa jeunesse. Cette idéologie se caractérise par un refus de toutes les régulations que pourraient instaurer les Etats. Jeff Bezos entretient une relation très tendue avec les syndicats. C’est un élément qu’on retrouve partout dans le monde. Je raconte dans « le monde selon Amazon » comment la première équipe française a été « remerciée » parce qu’elle n’avait pas atteint les objectifs qui lui avaient été imposé.
Amazon apparaît depuis sa création comme une entreprise qui fixe elle-même ses propres règles. C’est de cette manière qu’elle a révolutionné le commerce.
L’optimisation fiscale est poussée au maximum au point qu’aux Etats-Unis, l’entreprise perçoit un impôt négatif : C’est le fisc américain qui doit 129 millions de dollars à Amazon, sous forme de crédits d’impôts !
Amazon s’est organisé en fonction des législations fiscales des pays. C’est pour cette raison qu’elle a choisi le Luxembourg en Europe. On retrouve l’idéologie libertarienne aussi lorsque l’entreprise cherche à se justifier et à démontrer qu’elle paye des impôts en France. En effet, elle annonce s’acquitter de 250 millions d’euros mais lorsqu’on regarde comment elle parvient à cette somme, on s’aperçoit qu’elle additionne les cotisations sociales ou la TVA payée par ses clients. Ça donne une idée de la conception que se font les dirigeants d’Amazon des prélèvements obligatoires.
Le jugement prononcé par la justice française, confirmé en appel le 24 avril, illustre bien ces rapports tendus entre la firme de Seattle et les organisations syndicales.
Cap Finistère : En fait, la notion de « client-roi », et la satisfaction de tous ses désirs est au cœur de l’histoire d’Amazon ?
Benoît Berthelot : Tout à fait. C’est d’ailleurs ce qui explique le succès d’Amazon. Pour que les clients lui fassent confiance, l’entreprise n’a pas hésité à dépenser sans compter pour livrer plus vite, pour garantir les retours gratuits ou pour rembourser les produits défectueux. C’était le prix à payer pour gagner la confiance des clients. En outre, l’entreprise a mis en œuvre une politique de prix bas, basée sur une surveillance des concurrents. Ce sont les algorithmes qui fixent les prix en observant ceux pratiqués par les autres sites de e-commerce. C’était le prix à payer pour être le leader sur le marché. Mais cela a changé : aujourd’hui, Amazon n’est plus forcément le moins cher. L’entreprise sait qu’elle a fidélisé ses clients, qui regardent moins ce critère.
Cap Finistère : Mais, Amazon n’est-elle pas finalement un colosse aux pieds d’argiles, surtout si le déconfinement se traduit par des changements de comportements des consommateurs ?
Benoit Berthelot : Tous les observateurs ont noté que dès le début de la crise du Coronavirus, Jeff Bezos a clairement repris les commandes d’Amazon. S’il doit y avoir une baisse d’activité, ça viendra évidement des clients. La période de confinement aura surement des répercussions sur les habitudes de consommation. En outre l’image de l’entreprise, à cause des conflits sociaux notamment, peut être écornée. C’est précisément en période d’épidémie que tout le monde réalise qu’il y a des salariés dans les entrepôts ou sur les routes pour que les commandes parviennent dans des temps record chez les clients.
Mais pour moi la vraie question et le véritable enjeu, pour Amazon mais aussi pour les Etats, reste la régulation du marché. Comment l’Union européenne parviendra, ou pas, à imposer à Amazon qu’elle se batte à armes égales avec ses concurrents. Qu’elle respecte la réglementation fiscale sur la TVA, sur la gestion des invendus, qui, aujourd’hui sont encore trop souvent détruits, ou qu’elle applique le droit du travail. La question à laquelle devra répondre l’Europe est : comment taxer de manière logique une entreprise multinationale ? Faut-il le faire selon la législation en vigueur dans le pays où se situe son siège social ? Ou en fonction du chiffre d’affaire réalisé dans chaque pays ? C’est sur ces questions que se jouera l’avenir d’Amazon. Le comportement des consommateurs aura un rôle marginal. Le confinement aura certainement des répercussions mais pas au point d’inquiéter l’entreprise de Jeff Bezos.
Article publié dans le Cap Finistère n°1310 du 30 avril 2020
Partager |