Dans toute la France, la mobilisation s’organise pour dénoncer et refuser le projet « Hercule ». En Bretagne, et singulièrement dans le Finistère, la perspective d’un démantèlement d’EDF a de quoi inquiéter, comme l’explique Tristan Foveau, vice-président de Brest métropole en charge des opérateurs d’énergie et président du Pôle Énergie Bretagne, dans cette tribune.
"Se dirige-t-on vers une remise en cause du service public de l’électricité tel que nous le connaissons ?
La presse relate, depuis quelques mois, le projet de la direction d’EDF de découper ce fleuron national en trois sociétés indépendantes : EDF bleu, contrôlée par l’État et rassemblant les activités liées au nucléaire ; EDF Azur, chargée de la gestion des barrages hydroélectriques sous la forme d’une quasi-régie ; et EDF Vert, pour la distribution d’électricité et les énergies renouvelables, dont le capital serait ouvert au privé.
Un tel projet, qui a reçu le soutien du gouvernement, suscite des interrogations aussi nombreuses que légitimes.
Les consommateurs devront-ils payer ce démantèlement annoncé ? Une remise en cause des tarifs réglementés de vente (TRV) entraînerait inévitablement une hausse pesant sur les factures des usagers du service.
Une politique sociale de l’énergie sera-t-elle encore possible avec l’arrivée d’actionnaires privés au capital ou celle-ci conduira-t-elle à remettre en cause la péréquation tarifaire et l’égalité de traitement des usagers ? Alors que l’électricité est un bien indispensable à la vie, cela signifierait un risque d’aggravation des inégalités.
La même logique commerciale n’emportera-t-elle pas des sous- investissements sur nos réseaux, dans une logique de rentabilité financière plus que de modernisation de nos infrastructures ? Une telle éventualité impacterait directement la qualité de la distribution.
En vérité, ce projet et la manière de le mener remettent en cause le service public tel qu’il s’est historiquement construit, dès la fin du XIXe siècle, quand l’électrification de notre pays a commencé. Durant des décennies, sous l’action volontariste des communes, un
large et puissant réseau fut édifié pour finir par couvrir la totalité de nos régions. Entre 1923 et 1946, 11 000 kilomètres de lignes électriques de plus de 100 kilovolts furent projetés à travers le pays.
Le 8 avril 1946, au sortir d’une guerre qui a laissé le
pays en ruines, le projet de « pool de l’énergie électrique », comme l’appelle alors le ministre communiste de la Production industrielle, voit le jour. C’est la naissance d’EDF, rassemblant les sociétés de production, de distribution et de transport d’électricité. « L’électricité, c’est l’armée de la reprise économique », anticipe alors Marcel Paul.
À l’époque, la création d’EDF conforte la place des collectivités dans la distribution électrique. En effet, les réseaux sont, depuis la loi de 1906 sur les distributions d’énergie, propriété des communes. À travers des entreprises locales de distribution ou des concessions de service public à EDF (puis à Enedis), les collectivités restent à la manœuvre. Elles demeurent également autorités organisatrices pour la fourniture de l’électricité aux TRV (Tarifs Réglementés de Vente).
Aujourd’hui, ouvrir une réflexion sur les mutations possibles d’EDF, afin de faire face aux défis contemporains, est certes tout à fait légitime. Mais le choix d’exclure les acteurs locaux de cette réflexion est antagoniste à l’histoire de ce service public et porteur de menaces pour les usagers.
Enfin, et surtout spécificité bretonne, notre région, éloignée des centres de production d’électricité, souffre d’une forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur : 19 % seulement de notre consommation est produite en Bretagne. Cette situation de « péninsule électrique », doublée d’une forte augmentation des besoins des Bretonnes et des Bretons (+24 % de consommation de 2000 à 2019), appelle donc une vigilance toute particulière sur le sujet de notre avenir énergétique.
À la Libération, l’État a fait confiance aux collectivités et le succès fut total. Pourquoi casser ce qui fonctionne ? Elles sont, aujourd’hui encore et dans leur diversité, tout à fait disposées à relever le défi d’une réflexion approfondie sur notre avenir énergétique. Au gouvernement de saisir la main que nous tendons au nom de l’intérêt général. »
Article publié dans le Cap Finistère n° 1341 du 5 février 2021
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