Les limites du « Grand débat »
Après avoir laissé pourrir la situation pendant plusieurs semaines, le président de la République et le gouvernement devaient donner la parole aux Français. C’est ce qu’ils ont fait en lançant, de façon un peu précipitée, le « Grand débat » D’une manière assez générale, tous les maires, quelle que que soit leur sensibilité politique, ont défendu le même point de vue : faciliter voire participer à ce débat, oui. L’organiser et endosser les critiques si les demandes restent lettre morte, non.
Il est d’autant plus surprenant de voir Emmanuel Macron mettre autant d’énergie à répondre aux questions de maires dans des salles des fêtes, qu’il ne tenait qu’à lui, au mois de novembre, au congrès des maires de France de commencer cet exercice. On se souvient qu’il préféra inviter quelques élu.es dans les salons de l’Élysée plutôt que de se rendre Porte de Versailles.
Yohann Nédélec avait, poliment mais fermement, décliné cette invitation. Sur son blog le maire du Relecq-Kerhuon a précisé son point de vue sur ce débat « dont les dés semblent déjà pipés, pour reprendre l’expression du président de la République, et pointé les cinq erreurs commises par le pouvoir ».
« Les dès semblent déjà être pipés. »
« Lorsque l’on veut débattre on ne pose aucune exclusive et l’on débat de tout. Or, Emmanuel Macron, dans sa lettre, laisse penser que l’on ne reviendra pas sur la décision de l’ISF. Première erreur. »
Benjamin Griveaux annonçait, il y a peu que, peu importe les retours des Cahiers de doléances, le gouvernement ne changerait pas de cap. Deuxième erreur.
Dorénavant les maires sont devenus les partenaires essentiels sur qui on compte et l’on découvre que diriger de Paris sans nous est complexe. Réveil un peu tardif après les provocations de ce gouvernement, depuis près de deux ans.
Dans sa lettre, le Président demande de la « loyauté et de la transparence ». Loyauté à qui ? À quelqu’un en qui on ne croit pas ? En une politique qui est mauvaise pour le pays ? Soyons sérieux. Quatrième erreur donc.
Toujours dans sa lettre, il parle des institutions, des évolutions possibles mais le coeur du problème, à l’origine, est le pouvoir d’achat. Donc des décisions économiques et fiscales. Or, Il n’en est pas question. Cinquième erreur.
« Assurément cette décision de “ Grand débat ” est surtout un coup de communication en vue de tenter un rabibochage avec les Français et par là même faire l’auto-promotion des réformes voulues avec le regard fixé sur les Européennes de mai prochain. Compliqué enfin d’être objectif avec des marcheurs locaux qui ne cessent de critiquer l’action municipale, avec des procédés parfois douteux, faisant d’ailleurs de la personne de certains élus, une motivation première.
Donc que les choses soient claires : si débat il y a au Relecq-Kerhuon, il sera animé par une personne neutre, sans esprit partisan. Cela ne peut-être qu’un représentant de l’État et en l’occurrence de la Préfecture. Sans cela il n’y aura pas de salles mises à disposition. »
Première ambiguïté à Brest
Dans le Finistère c’est Jean-Charles Larsonneur, député LREM de Brest, qui a essuyé les plâtres de cet exercice. Le samedi 19 janvier, à son invitation, une trentaine de personnes se sont entassées dans l’arrière-salle exiguë d’un restaurant du bas de la rue de Siam, pour un exercice qui s’apparentait plus à un QCM qu’à la réflexion collective.
Après les remerciements d’usage, le député En marche a tenté de diviser l’assistance en quatre groupes correspondant aux quatre thèmes prévus nationalement : transition écologique, fiscalité et dépense publique, démocratie et citoyenneté et organisation de l’État et des services publics. Les personnes présentes ne l’entendaient pas de cette oreille et ce sont finalement six groupes qui se sont, dans un brouhaha qui a fait fuir une dizaine de personnes, penchés sur les questions écologiques et fiscales.
Mais, même si la plupart des intervenants ont estimé que les questions étaient rédigées de telle sorte qu’elles induisaient, à la fois les réponses mais aussi, et surtout, les termes du débat, il est rapidement apparu que, dans un laps de temps de deux heures, il n’était pas possible de rédiger, en groupe, une contribution et que répondre aux questions posées restait la solution la plus « pratique » ou la plus « commode ».
Donc, les contributions remontant de Brest indiqueront que les participants ont adopté le canevas proposé par le gouvernement alors même qu’ils et elles n’ont pas eu le choix. La manière dont le député de Brest a récupéré cet événement montre bien les limites de cet exercice.
Car, s’il est vrai qu’il a donné la parole, il s’est bien gardé de préciser que les participants ont très majoritairement plaidé pour un rétablissement de l’ISF et qu’une des propositions d’économie pour l’État consiste à abandonner la dissuasion nucléaire.
Article publié dans le Cap Finistère n°1255 du 25 janvier 2019