Les mensonges de Philippe De Villiers
« J’ai tiré le fil du mensonge est tout est venu… » C’est le titre du pamphlet que vient de publier Philippe De Villiers, mais c’est aussi ce que peuvent dire les spécialistes de l’histoire de la création de l’Union européenne lorsqu’ils se penchent sur cet ouvrage. Comme nous l’explique Maurice Braud, président de la l’association Jean Monnet.
Cap Finistère : Dans un communiqué publié le 12 mars vous parlez, à propos du livre de Philippe de Villiers, de calomnies. Il ne répond donc pas aux critères de la recherche historique ?
Maurice Braud : C’est le moins qu’on puisse dire ! Il fait passer des articles de presse que tous les spécialistes de la question connaissent, pour des documents confidentiels. Il prétend s’être rendu dans des endroits où personne ne se souvient de son passage. Et surtout il pratique un amalgame honteux destiné à salir la mémoire les créateurs de l’Union européenne.
Cap Finistère : Il cible trois personnes : Jean Monnet, « marionnette de la CIA », Robert Schuman « pétainiste » et Walter Hallstein, « ancien nazi ». Qu’en est-il en réalité ?
Maurice Braud : En effet, ce sont les trois principales cibles de ce pamphlet. Revenons sur chacune de ces personnalités en commençant par celui que je connais le mieux, Jean Monnet. Philippe De Villiers l’accuse d’avoir été à la solde de la CIA. C’est totalement faux. Au contraire, Jean Monnet, qui était à Londres auprès de Churchill pendant la guerre, a joué un rôle déterminant auprès des Américains, isolationnistes au début du conflit, pour qu’ils interviennent. Au point que Keynes a déclaré que « Grâce à Jean Monnet, la guerre a été gagnée un an plus tôt ».
Pour bien comprendre le cheminement de Jean Monnet, il faut savoir qu’il a connu la guerre de 14 et qu’il s’est battu pour la paix toute sa vie. Il fut, brièvement, secrétaire général adjoint de la SDN. Il y a constaté que la règle de l’unanimité paralyse l’institution. Il la quitte pour se lancer dans les affaires, dans le monde entier et notamment aux États-Unis. Après la guerre, il lance la communauté du charbon et de l’acier avec toujours l’obsession de la coopération entre les pays européens pour éviter la guerre. Les États-Unis, dans le contexte de la guerre froide, que Philippe De Villiers n’évoque jamais mais qui est pourtant fondamentale pour comprendre les années 50, veulent le réarmement allemand. Jean Monnet le refuse et propose la Communauté Européenne de Défense (CED) à laquelle participerait des contingents allemands, mais au sein d’une organisation européenne. Finalement la CED est rejetée par la France et c’est là qu’il lance le comité d’action pour les États-Unis d’Europe auquel participent les forces politiques et syndicales pro-européennes de plusieurs pays, dont la SFIO, la CFTC ou FO pour la France. Ce comité a été soutenu, notamment par la fondation Ford, comme beaucoup d’autres mouvements, organisations et institutions universitaires françaises et européennes à la même époque.
Ce dont il accuse Robert Schuman est proprement scandaleux. Il aurait porté l’uniforme prussien et aurait été ministre de Pétain. Il a porté l’uniforme allemand parce qu’il est né en Moselle qui appartenait, avant 1914, à l’empire allemand. Il n’a été ministre de Pétain que quelques mois, après le vote des pleins pouvoirs. Il appartenait au gouvernement de Paul Reynaud et Pétain, au début, a conservé une grande partie des ministres en place. À peine de retour chez lui, Schuman a été arrêté par la Gestapo et s’il a dû se cacher dans des monastères, c’est pour échapper aux Allemands.
Quant à Walter Hallstein, il a occupé de hautes responsabilités au sein de l’université allemande et s’il a porté un uniforme, c’était celui de la Werhmacht, comme la plupart des Allemands de son âge.
Cap Finistère : Il ne s’agit donc pas d’un livre historique ?
Maurice Braud : Il est clair que Philippe De Villiers ne s’est pas livré à un exercice historique mais bien à une opération politique qu’il faut dénoncer. Personne n’est dupe : Philippe De Villiers est entré en campagne pour les Européennes. Mais le combat électoral ne justifie pas tout et il faut rappeler, haut et fort, qu’il ne respecte pas la plus élémentaire déontologie qui consiste à vérifier les sources et à replacer les événements dans leur contexte. Son seul but est de disqualifier le projet européen. Avec un égocentrisme démesuré, il tente de faire croire qu’il aurait, seul contre tous, découvert des documents secrets, accréditant ainsi les thèses complotistes.
Article publié dans le Cap Finistère n°1263 du 22 mars 2019