Les oubliés de la République
Il n’aura fallu que quelques amendements pour vider de sa substance la proposition de loi, pourtant très attendue, visant à accélérer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie.
Dans une Tribune publiée dans Libération avant son examen dans l’Hémicycle, un groupe de parlementaires, de personnalités publiques et associatives et d’élus locaux, dont Marc Labbey, vice-président du Conseil départemental du Finistère, avaient exhorté la majorité à faire preuve d’humanité vis-à-vis de ces jeunes majeurs laissés à eux-mêmes dès qu’ils atteignent l’âge de 18 ans.
« Longtemps ignorée, souvent critiquée, l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) sort aujourd’hui de l’invisibilité grâce notamment à la mobilisation sans relâche d’anciens jeunes placés.
Les chiffres nous commandent d’agir. Une personne sans domicile fixe sur quatre, née en France, est un ancien enfant placé et 70 % des jeunes qui sortent de l’Aide Sociale à l’Enfance sont sans diplôme. Pire, dans la population des jeunes sans domicile fixe de moins de 25 ans, 40 % sont des anciens de l’ASE.
Le plus souvent sortis de l’Aide Sociale à l’Enfance sans diplômes et sans soutien affectif, ils sont particulièrement vulnérables et exposés aux risques addictifs, à la délinquance et aux prédateurs sexuels.
Malgré la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, la prise en charge des jeunes majeurs n’est pas systématiquement accordée, ce dispositif étant dénué de caractère obligatoire et laissé à la libre appréciation des départements.
Pourtant, la catégorie des 16-25 ans est celle de la population qui a le taux de pauvreté le plus élevé : près de 20 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui entraîne pour ces jeunes sans soutien familial, des situations de survie. Comment accepter que la cinquième puissance mondiale ne puisse pas protéger 63 000 jeunes déjà fragilisés ?
Suite aux récentes affaires médiatiques, il s’est levé, en France, un vent d’indignation face au sort que la République réserve à ses enfants. L’ASE sauve des vies, mais elle doit faire plus que cela. Face au dysfonctionnement de notre système, nous avons la responsabilité d’agir.
Car au-delà de l’injustice qui est faite à ces jeunes, cette proposition de loi s’attaque aussi à une aberration économique majeure. La protection de l’enfance est le deuxième budget social des départements avec 9 milliards d’euros à l’échelle nationale.
Et pourtant, l’économie de court terme que représente l’absence d’accompagnement pour les jeunes majeurs entraîne toujours des dépenses lourdes à long terme pour l’ensemble de la collectivité (RSA, CHRS, AAH, etc.).
Une prise en charge après 18 ans mettrait fin à cette incertitude permanente du lendemain chez ces jeunes, déjà fragilisés. Ces jeunes, à qui l’on demande d’être autonomes à 18 ans alors que les autres restent parfois dépendants de leur famille jusqu’à 25 ans, sont paradoxalement les moins armés pour y parvenir. Ils ont souvent subi abandons, violences, ruptures familiales et affectives. Notre société ne peut pas les laisser livrés à eux-mêmes. Leur sac à dos, à 18 ans, est déjà bien chargé. »
Par ailleurs, la protection de l’enfance est le deuxième budget social des départements avec 9 milliards d’euros à l’échelle nationale. Il y a une aberration économique à investir tant pour que tout s’arrête au couperet des 18 ans et risquer des dépenses futures liées au coût social que représente la précarisation de jeunes adultes. Comment accepter que ces jeunes soient abandonnés de nouveau, à 18 ans, censés être prêts à affronter une société de plus en plus exigeante, alors que dans le même temps, l’âge d’accès au premier emploi stable est de 28 ans ?
Il n’y a pas de fatalité à fabriquer des sans domicile fixe. Les chantiers évoqués ici, s’ils sont portés par un consensus politique, soutenus par les Français qui pensent souvent de bonne foi (mais àtort) que cette mission est assurée, peuvent changer l’avenir de ces nombreux enfants.
« Le temps nous est compté, ne le gâchons pas. Travaillons ensemble pour que ces oubliés de la République ne le soient plus », concluaient les auteurs de cette Tribune.
Hélas, la majorité LREM à l’Assemblée en a décidé autrement. Mais ce chantier devra très rapidement être relancé.
Article publié dans le Cap Finistère n°1271 du 24 mai 2019