Motion de censure
Après quelques jours de faux suspense, Emmanuel Macron a dégainé le 49.3 pour mettre un terme au débat parlementaire sur le projet de réforme des retraites alors même qu’allait être abordée la question du calcul des points. Pour le groupe socialiste et apparentés, Valérie Rabault a défendu une motion de censure.
« Vouloir réformer en quinze jours la retraite de tous les Français, qu’ils soient cheminots, avocats, professeurs, infirmiers, pompiers, agriculteurs, relève, au mieux, d’un amateurisme coupable, au pire, d’une volonté d’abîmer durablement notre modèle social.
Non seulement vous avez mis fin au débat mais, pendant les treize jours de séance, vous l’avez esquivé en ne répondant à aucune des interrogations légitimes que soulève une réforme d’une telle ampleur.
Ainsi, comment pouvez-vous parler de justice sociale quand pour la première fois dans l’histoire de notre système de retraite, le malus, qui s’applique lorsqu’on ne réunit pas toutes les conditions pour obtenir sa retraite à taux plein, sera calculé uniquement en fonction de l’âge de départ à la retraite et non de la durée de cotisation ?
Prenons le cas d’un ouvrier : il commence à travailler à 20 ans, cotise pendant quarante-trois ans, soit la durée actuelle de cotisation exigée, et part à la retraite à 63 ans ; puisque l’âge d’équilibre est fixé à 65 ans, il subira un malus de 10 %, et ce, pendant toute la durée de sa retraite, pas uniquement lors de sa liquidation. A contrario, le cadre qui a eu la chance de faire des études, commence à travailler à 24 ans, cotise pendant la même durée de quarante-trois ans et part à la retraite à 67 ans, aura un bonus de 10 % ! Où est la justice sociale, monsieur le premier ministre ?
Comment pouvez-vous parler de justice sociale quand les chômeurs non indemnisés ne pourront plus, dans votre nouveau système, acquérir de droits à la retraite, alors qu’ils le peuvent aujourd’hui ?
Comment parler de justice sociale quand, de surcroît, ces périodes de chômage non indemnisées seront prises en compte dans le calcul de la retraite, alors qu’aujourd’hui elles sont mises de côté puisque le calcul de la pension repose sur les vingt-cinq meilleures années ?
Comment pouvez-vous parler de justice sociale quand une femme, salariée du secteur privé, qui a un enfant, qui commence à travailler à 22 ans, et qui envisage de partir à la retraite à 63 ans, devra subir une décote de 5 %, alors qu’elle peut aujourd’hui le faire à taux plein ?
Monsieur le premier ministre, comment pouvez-vous parler de justice sociale pour les agriculteurs qui ont cru en votre promesse de revalorisation de leurs retraites, alors que les 1,3 million d’entre eux aujourd’hui à la retraite n’auront rien du tout ?
Monsieur le premier ministre, tous ces exemples ne démontrent qu’une seule chose : votre tentative de passer sous silence les effets réels de votre réforme. Au mieux, parce que vous n’en connaissez pas tous les effets ; au pire, parce que vous voulez les cacher.
Dans les deux cas, quelle que soit votre raison, c’est antidémocratique ! C’est pour ce motif que mon groupe a décidé d’utiliser la possibilité, qui lui est accordée chaque année, de déclencher une commission d’enquête parlementaire. Celle-ci dure six mois et permet à la fois d’auditionner sous serment n’importe quel responsable politique ou administratif de notre pays et de procéder à des saisies sur pièce et sur place. Elle est l’un des outils qui permettent aux parlementaires d’exercer leur droit constitutionnel de contrôle de l’action du gouvernement. Entraver l’exercice d’un tel droit constituerait une atteinte profonde aux droits du Parlement.
J’espère, monsieur le premier ministre, que le gouvernement, en tant que garant du respect de la Constitution, n’aura pas cette tentation pour lui-même et saura prévenir sa majorité des risques que celle-ci ferait encourir à notre démocratie. (NDLR et pourtant, deux jours plus tard, les députés de la majorité ont empêché la mise en place de cette commission d’enquête).
Monsieur le premier ministre, vous avez souhaité engager la responsabilité de votre gouvernement sur ce projet de loi instituant un système universel de retraite. Vous ne nous avez donc laissé d’autre choix que celui de vous censurer, tant votre responsabilité est immense, à la fois parce que vous ne maîtrisez pas les conséquences de votre réforme et parce que certaines d’entre elles, que nous connaissons déjà, conduiront à appauvrir durablement plusieurs millions de nos concitoyens. »
Article publié dans le Cap Finistère n°1303 du 13 mars 2020