Les prisons françaises constituent une poudrière que la moindre étincelle peut faire exploser. Pour Dominique Raimbourg, ancien député de Loire Atlantique qui a présidé la commission des lois de l’assemblée, spécialiste des questions judiciaires, il convient de lutter contre la surpopulation carcérale, notamment en instaurant un numérus clausus inversé dans les maisons d’arrêt.
Cap Finistère : Comment expliquez-vous le mouvement social dans les prisons françaises ?
Dominique Raimbourg : La situation est tendue depuis plusieurs années du fait de la surpopulation carcérale. Selon les chiffres officiels, il y a, en France, 69 000 détenus pour 59 000 places soit 10 000 détenus de trop. Mais ces statistiques ne rendent pas
totalement compte de la réalité et de la disparité des situations. Selon les travaux de Pierre-Victor Tournier, le chiffre exact se situerait plutôt aux alentours de 12 voire 14 000 compte tenu des places laissées vides. En effet, il y a des travaux dans certaines et surtout les maisons centrales pour longues peines ou les établissements pour mineurs ne sont pas remplis à 100 % pour des
raisons de sécurité.
Entre 2002 et maintenant, nous sommes passés de 48 000 à 69 000 détenus ce qui a fait passer la proportion de détenus en France de 75 à 101 détenus pour 100 000 habitants. Cette situation est très difficile à supporter pour les détenus et le personnel dans les
maisons d’arrêt où le taux d’occupation peut atteindre 150 voire 200 %. À cela est venu s’ajouter le phénomène des détenus ou prévenus islamistes radicalisés qui n’hésitent pas à agresser les agents. Ce sont ces tentatives d’assassinats,
comme à la prison d’Osny, (95) en octobre 2016, qui ont fait éclater ce mouvement. Mais nos prisons sont, depuis bien longtemps, de véritables poudrières.
Cap Finistère : En quoi consiste votre proposition de numérus clausus ?
Dominique Raimbourg : De numérus clausus « inversé ». J’insiste sur le terme inversé car il ne s’agit pas de ne pas incarcérer sous prétexte que les maisons d’arrêt seraient en
surpopulation. J’ai en effet présenté cette proposition de loi en 2010 mais je n’ai pas encore réussi à être majoritaire sur ce sujet. L’idée est la suivante : pour lutter contre la surpopulation carcérale, chaque entrée serait compensée
par une, voire deux sorties de détenus en fin de peine qui se trouvent à quelques semaines de la fin de peine.Ces libérations seraient bien sûr contrôlées par les juges d’application des peines. Cette solution aurait l’avantage de permettre un suivi et un contrôledes détenus quittant la prison.
Aujourd’hui, 80 % des sorties sont dites « sèches », sans suivi, ce qui favorise la récidive.
Je me heurte à deux types d’objections. La première, classique, consiste à considérer qu’une peine est prononcée pour être purgée. La seconde met en avant l’inégalité des détenus qui n’auraient mathématiquement pas les mêmes chances de sortir en fonction de leur lieu de détention. Mais il faut cependant considérer que les peines dans des maisons d’arrêt surpeuplées sont les plus dures à accomplir.
Cap Finistère : Quelles sont les alternatives à l’incarcération ? Et comment expliquer qu’elles ne se développent pas plus en France ?
Dominique Raimbourg : Ce n’est pas tout à fait exact. Il existe des alternatives à l’incarcération et d’ailleurs compte tenu du nombre de crimes et délits, la prison n’est pas la solution principale. Il y a 600 000 condamnations pour délit par an. 120 à 130 000 peines d’emprisonnement avec sursis simple, 50 000 avec sursis avec mise à l’épreuve (c’est-à-dire un suivi) et 20 000 peines de travaux d’intérêt général (TIG) sont prononcées. 10 000 condamnés portent un bracelet électronique.
Il faut bien avoir en tête que la prison est très efficace. On peut incarcérer des détenus 24h/24h et 7 jours sur 7. Mais surtout, la peine de prison est simple et compréhensible. Toute peine à, entre autres fonctions, celle de démontrer aux honnêtes citoyens que
les délits sont sanctionnés. Écartant de la société les auteurs de crimes et délits, la prison est simple à comprendre et rassurante. Elle est à la fois pratiquement et symboliquement très efficace. Mais utilisée sans se soucier ni des conditions de détention, ni du suivi à la sortie, elle est peu efficace contre la récidiveLa contrainte pénale créée par la loi Taubira pour remplacer
les courtes peines pour les multi condamnés n’est en effet pas suffisamment utilisée car elle demande plus de travail à des tribunaux déjà surchargés. La libération sous contrainte avant la fin d’incarcération est aussi sous utilisée. D’une part car les juges d’application des peines font preuve de trop de frilosité. Mais d’autre part car les personnels des services de probation ne sont pas assez nombreux. Nous avions fait passer leur nombre de 4 à 5000 mais ça reste encore totalement insuffisant au regard des besoins car un véritable suivi, bienveillant, mais ferme est indispensable.
La solution, qui reste à inventer, résiderait dans l’instauration de peines, hors les murs, visibles pour la société mais pas stigmatisantes pour ceux qui la purgent.
Cap Finistère : Faut-il, selon vous, construire de nouvelles maisons d’arrêt ?
Dominique Raimbourg : S’il s’agit, comme dans le projet qu’avait défendu Jean-Jacques Urvoas, de créer 11 à 16 000 places avec l’objectif de permettre l’encellulement individuel oui.
Mais si c’est juste pour passer de 69 000 à 80 000 places non. Plus on construit, plus on remplit.
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