Nous voulons des coquelicots
Pourquoi demander l’interdiction de tous les pesticides de synthèse ? Parce qu’il faut plusieurs années de batailles juridiques et médiatiques pour faire interdire une molécule particulière qui, une fois prohibée, est immédiatement remplacée par une autre, aussi dangereuse, sinon plus, pour l’environnement et la santé humaine. C’est ce qu’a expliqué Fabrice Nicolino, un des cofondateurs du mouvement Nous voulons des coquelicots aux Capucins à Brest, à l’occasion d’une conférence organisée le 14 juin par les associations Henri Pézerat - Travail, Santé, Environnement et Eaux et Rivières de Bretagne.
Les pesticides ont sauvé des vies et amélioré les rendements agricoles. Jusqu’aux débuts du XXe siècle, les agriculteurs et les agronomes se heurtaient à des difficultés insurmontables pour lutter contre des insectes, des moisissures ou des champignons qui pouvaient décimer des récoltes et qui altéraient le rendement de plusieurs productions, notamment la vigne. C’est dans l’entre-deux guerres que des découvertes scientifiques ont permis d’élaborer des pesticides de synthèse. C’est aussi à cette période que l’on s’est rendu compte que certains produits, comme le DDT inventé en 1874, pouvaient aussi avoir des pouvoirs insecticides et même sauver des vies comme à Naples en 1943 où sévissait une épidémie de typhus.
Pour les agriculteurs, l’incertitude disparaît et les rendements ne peuvent que progresser.
Mais, très rapidement, de nombreuses voix se sont élevées pour alerter sur les dangers de ces produits pour l’environnement et la santé humaine. En 1962, l’américaine Rachel Carlson publie « Le printemps silencieux » qui explique comment les pesticides, en s’attaquant aux insectes, peuvent perturber l’ensemble de la chaîne alimentaire. Ce livre est traduit en France dès 1963, préfacé par Roger Heim, président de l’Académie des sciences.
« On connaît donc la nocivité des pesticides depuis 1963, mais on se heurte à un puissant lobby », a expliqué Fabrice Nicolino, s’appuyant sur plusieurs exemples pour étayer sa démonstration.
Dans l’immédiat après-guerre, alors que l’heure est à la reconstruction et à l’augmentation de la production agricole, les pesticides apparaissent comme la solution miracle pour se débarrasser de tous les « parasites » qui s’attaquent aux cultures. En 1945, Fernand Willaume, estimant que les pesticides constituent la solution pour l’alimentation humaine, jette les bases du lobby des pesticides en rassemblant agronomes, industriels et dirigeants agricoles.
Des militants associatifs et des scientifiques ont déjà mené plusieurs campagnes pour faire interdire des produits dangereux. Mais quelle énergie ont-ils dû déployer !
Plusieurs affaires ont défrayé la chronique. Comme celle du Gaucho. Il s’agissait d’un néo-nicotinoïde qui entrait directement dans les plantes. Cet insecticide systémique a été mis sur le marché en 1994. Dès la première saison d’utilisation, des apiculteurs ont constaté une disparition inquiétante des abeilles et ont tiré la sonnette d’alarme. Mais il a fallu près de 25 ans pour démontrer le lien entre l’utilisation du Gaucho ou du Régent et l’hécatombe qui frappait les ruches. Ce n’est que le 1er septembre 2018 que ces produits ont été interdits.
Le Chlordécone est utilisé contre les charançons qui s’attaquent aux bananes. Il a commencé à être utilisé aux États-Unis en Virginie, dans le début des années 70. Très vite, les ouvriers agricoles tombent malades et le produit est interdit. Mais il a été utilisé dans les Antilles. Et là aussi, des taux de cancer de la prostate anormalement élevés ont été repérés.
Pour toutes ces raisons Nous voulons des coquelicots demande l’interdiction totale de tous les pesticides. D’autant qu’il existe d’autres méthodes de lutte contre les parasites, comme la lutte biologique intégrée qui fait intervenir des insectes prédateurs des ennemis des cultures. Tous les premiers vendredi de chaque mois le collectif appelle les citoyennes et les citoyens à se retrouver devant leur mairie à 18 h 30. En parallèle, une pétition circule. « Notre nous sommes fixé l’objectif de 5 millions de signatures d’ici 2020 afin de démontrer que les Françaises et les Français veulent vraiment renverser la table et mettre fin à l’usage des pesticides de synthèse ».
Article publié dans le Cap Finistère n°1275 du 28 juin 2019