Le gouvernement d’Emmanuel Macron veut-il aller jusqu’à un Frexit agricole ? C’est la question qu’on est en droit de se poser suite aux échanges entre le ministre de l’Agriculture et la Commission européenne. Dans un communiqué, le député européen Éric Andrieu met en garde contre ce risque bien réel.
La Commission européenne vient de rendre publiques ses observations sur la première
version du Plan Stratégique National (PSN) proposée par la France pour la mise en œuvre de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) à partir de 2023 : elle invite Paris à revoir en profondeur sa copie. Dans une réponse officielle rendue également publique, l’actuel ministre de l’Agriculture ne se montre pas particulièrement enclin à la négociation, allant même jusqu’à s’interroger sur la légitimité de la Commission à s’exprimer sur les choix français.
« La Commission réclame une révision en profondeur de l’orientation proposée par la France. C’est également mon constat : les objectifs de la stratégie De la Ferme à la Fourchette ne semblent pas être pris au sérieux par les autorités françaises et ce n’est clairement pas acceptable », fustige Éric Andrieu, en charge des questions agricoles au Parlement européen.
À lire le courrier du ministre qui va même jusqu’à contester le rôle de la Commission, pour prôner une subsidiarité totale et qui cite le Green Deal européen uniquement pour mettre en avant les initiatives franco-françaises, on aurait même l’impression que le gouvernement français prône la renationalisation de la
PAC pour s’extraire de la stratégie de durabilité promue par la Commission européenne.
« Il n’aura échappé à personne que nous sommes en période électorale, mais de là à flatter de la sorte l’électorat agricole le plus conservateur et plaider une sorte de Frexit agricole, c’est assez consternant de la part d’un exécutif qui se fait fort d’être pro-européen et fait mine de s’engager pour la transition environnementale », analyse Éric Andrieu.
« Deux objectifs clairs ont été mis en avant pour accompagner la transition de notre agriculture à horizon 2030 : la réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides, d’une part, et l’augmentation de la part de l’agriculture biologique à hauteur de 25 % des surfaces agricoles, d’autre part. Pour atteindre ces objectifs, la proposition française n’est absolument pas à la hauteur », rajoute encore l’Eurodéputé PS.
« Il est urgent de rectifier le tir. »
Par exemple, la France dit être en mesure d’atteindre l’objectif de réduction des pesticides, non pas en 2030... mais dès 2025 ! Cela ne paraît pas sérieux au vu des tendances actuelles. De plus, la stratégie pour mobiliser la prochaine PAC pour y parvenir est juste illisible.
Les agriculteurs ont besoin de visibilité
Il en va de même pour l’augmentation des surfaces en agriculture biologique : la Commission pointe même un risque de recul des surfaces en bio, ayant pour cause l’abandon de l’aide au maintien de l’agriculture biologique.
« Durant les négociations de la PAC, la France a été l’un des États membres à avoir le plus bataillé contre l’alignement de la PAC sur les objectifs du Green Deal et de la stratégie De la Ferme à la Fourchette. Mais les autorités françaises ont probablement « oublié » que, même si des latitudes peuvent être négociées, les États membres doivent justifier que l’argent de la PAC est employé pour atteindre les objectifs de la stratégie De la Ferme à la Fourchette », rappelle Éric Andrieu.
« La proposition française est de piètre qualité et le ton donné par la France à l’ouverture des négociations n’est pas de nature à rassurer : c’est un véritable bras de fer qui s’engage et cela risque de durer, ce qui fait peser un danger important pour les agriculteurs français qui pourraient être maintenus dans l’incertitude de longs mois », explique Éric Andrieu pour qui « c’est un mauvais calcul, mieux vaut enclencher au plus vite la transition environnementale, quitte à réouvrir le débat sur les moyens budgétaires qu’elle nécessite. Nos agriculteurs ont besoin de visibilité et de constance pour être accompagnés vers plus de durabilité ».
« La lettre d’observation de la Commission confirme que la proposition française a été bâclée et on ne peut que soutenir la Commission européenne et son premier vice-président Frans Timmermans pour revoir les ambitions à la hausse. Il est urgent de rectifier le tir, cela ne fait pas sérieux pour un gouvernement qui se voudrait aux avants-gardes de la construction européenne », conclut Éric Andrieu.
Article publié dans le Cap Finistère n° 1392 du 6 mai 2022
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