Plaidoyer pour la décentralisation
Au pessimisme de la raison, Jean-Jacques Urvoas et Jean-Michel Le Boulanger ont opposé l’optimisme de la volonté, samedi 2 mars, à Pont-l’Abbé, devant près d’une centaine de personnes. Arnaud Platel, secrétaire fédéral au projet et au BREIS, les avait invités à répondre à la question : « Quels remèdes face à la fracture territoriale ? », dans une réunion publique. « Le nombre de personnes, de toutes sensibilités politiques, qui ont participé à cette rencontre montre que notre démarche rencontre un véritable intérêt dans l’opinion publique bretonne », se félicite Arnaud Platel.
La décentralisation est une idée de gauche qui doit beaucoup à la Bretagne, ont rappelé les deux intervenants.
Après 40 ans, le bilan est contrasté. On y trouve le meilleur et le pire a rappelé Jean-Jacques Urvoas. Le meilleur, c’est la qualité du service public rendu par les collectivités territoriales. Si on ne prend que l’exemple de l’éducation, que constate-t-on ? Les écoles, gérées par les communes, les collèges, par les Départements et les lycées par les Régions, offrent des conditions d’étude tout à fait convenables. En revanche, les amphis surchargés et les salles vétustes se trouvent dans les universités, qui restent dans le giron de l’État.
Mais, si les élus locaux remplissent leur mission, il faut bien reconnaître qu’accaparés par leurs tâches, ils en ont parfois oublié, de donner du sens à leur action. Mais surtout, ce que l’État a donné d’une main en accordant des compétences, il l’a repris de l’autre en réduisant les financements. Tout le monde sent bien que le statu quo n’est plus tenable.
Alors que faire ? Pour l’ancien Garde des Sceaux, les demi-mesures ne sont plus de mise aujourd’hui. Face au mur que constitue la Haute fonction publique, il faut faire preuve d’audace. Et Jean-Jacques Urvoas n’y va pas par quatre chemins : « Il faut supprimer les préfets et l’ENA ». La Haute fonction publique représente une force d’inertie qui empêche toute initiative. Les réponses les plus souvent entendues lorsque des élu.es avancent des propositions innovantes sont, au choix : « C’est plus compliqué que ça » ou « On n’est pas sûr que ça fonctionne » ou « Bercy est d’accord ? » ou enfin « Est-on certain que c’est compatible avec l’Europe ? ». Ces quatre réponses-types suffisent à enterrer toute velléité de réforme.
Pour Jean-Jacques Urvoas, il convient de casser la centralisation politique, qui concentre tous les pouvoirs à l’Élysée, la centralisation financière qui se situe, elle, à Bercy et enfin la centralisation économique, aux mains de quelques multinationales.
Fort de son expérience de parlementaire et de ministre, Jean-Jacques Urvoas propose de repenser le principe de subsidiarité. Aujourd’hui, tout ce que l’État ne veut plus faire est laissé aux collectivités. Il faudrait, au contraire, que l’État n’intervienne que sur les compétences que les collectivités ne peuvent assumer.
Ensuite, casser l’uniformité des statuts qui empêche de prendre en compte les spécificités locales, d’où l’idée d’une assemblée de Bretagne.
Dans le même état d’esprit, les collectivités devraient disposer d’un pouvoir normatif. Et enfin, des financements pérennes doivent être assurés afin que les collectivités disposent de moyens pour mettre en oeuvre leurs politiques.
Alors pourquoi cette crispation jacobine ? Pour Jean-Michel Le Boulanger, il faut remonter aux origines de l’Histoire contemporaine. Les révolutionnaires ont inscrit dans le préambule de la constitution que la France était une et invisible à un moment où ils devaient faire face à des ennemis extérieurs (quasiment toutes les monarchies européennes) et à des ennemis intérieurs (les Royalistes, en général, et les Chouans de Vendée, en particulier). Voilà comment, tout au long du XIXe et du XXe siècles, s’est développée l’idée selon laquelle la survie de la nation passait par son unité et son indivisibilité. Tout ce qui pouvait, de près ou de loin, y porter atteinte était farouchement combattu.
Mais aujourd’hui, pour le vice-président de la Région Bretagne, ce n’est pas la diversité du pays qui menace la République mais bien plutôt le consumérisme qui transforme les partis politiques ou les candidats en marques. Or, pour le consommateur, rien n’est plus facile que de changer de marque. Alors que les Jacobins prétendent défendre la République, c’est au contraire en décentralisant que les citoyens se réconcilieront avec la République.
Article publié dans le Cap Finistère n°1262 du 15 mars 2019