Portugal, un exemple pour la gauche ?...
Portugal, un exemple pour la gauche ?
Et si le Portugal était le nouveau modèle socialiste européen ? Dans un paysage politique où les sociaux-démocrates sont le plus souvent à la peine, Antonio Costa fait figure d’exception. Même s’il faut tenir compte d’un contexte bien particulier, la gauche européenne doit regarder avec attention ce qui se passe à Lisbonne, comme nous l’explique Sébastien Poupon, auteur d’une note sur ce sujet sur le site Sauvons l’Europe et secrétaire fédéral à l’International dans la Fédération de la Nièvre.
Cap Finistère : Qui est donc cet Antonio Costa qui, à rebours de tous les autres dirigeants socialistes européens, gagne les élections et améliore son score ?
Sébastien Poupon : Il a eu un parcours original et particulier. Avant de devenir l’icône de la gauche européenne il se situait plutôt à l’aile droite du Parti Socialiste portugais. Il s’est fait connaître en tant que maire de Lisbonne et c’est dans cette fonction qu’il a acquis sa popularité. Dans l’histoire portugaise, Lisbonne, qui est une ville de gauche, a souvent été un tremplin pour une carrière nationale. Il a succédé, comme secrétaire général du PS à António José Seguro, qui a dirigé le parti de 2011 à 2014 et qui incarnait son aile gauche.
Viennent les élections législatives de 2015, après une période d’austérité très forte imposée par le gouvernement conservateur. La droite arrive tout de même en tête de ces élections mais elle ne dispose pas de la majorité. Mathématiquement, toutes les forces de gauche sont en capacité de gouverner à condition de s’unir. Les électeurs n’auraient pas compris que les formations politiques de gauche restent dans leurs vieilles rivalités et ne tentent pas de construire une alternative à la politique d’austérité menée par la droite de 2011 à 2015. C’est ainsi que le PS parvient à s’allier avec le Bloc de gauche (BE) et la Coalition Démocratique Unitaire (CDU) qui ont adopté une démarche constructive. Les socialistes gouvernent avec leur soutien. Et contre toute attente et en dépit des prévisions des observateurs, cette coalition qualifiée de « geringonça » (machin, bidule) fonctionne, même s’il y a eu quelques frictions, notamment autour de la question du gel des salaires des enseignants. Mais d’une manière générale tout le monde y a trouvé son compte : le PS qui a pu appliquer son programme et les autres formations de gauche qui, sans entrer dans le gouvernement ont pu peser sur ses orientations.
Cap Finistère : De quelle manière le premier ministre a-t-il pu obtenir la confiance des électeurs ?
Sébastien Poupon : Le Parti Socialiste portugais a obtenu son meilleur résultat depuis 2005 en progressant de plus de quatre points en termes de suffrages et en gagnant 22 sièges par rapport au scrutin précédent de 2015. On peut expliquer ce score par le bon bilan du gouvernement Costa. Après les années d’austérité, il est parvenu à mener une politique de gauche qui s’est traduite par une augmentation du salaire minimum, des petites pensions et une baisse d’impôts pour les ménages les plus modestes et le tout sans creuser les déficits. Il a mis fin aux privatisations et la croissance est au-dessus de la moyenne de la zone euro. Tous ces éléments permettent de comprendre pourquoi les Portugais ont confirmé leur confiance et pourquoi le score du PS s’est amélioré même s’il ne dispose pas, à lui seul de la majorité absolue.
Cap Finistère : L’arrivée de l’Extrême-droite au Parlement est tout de même le point sombre des dernières élections.
Sébastien Poupon : Oui, c’est vrai que c’est symboliquement important mais il faut tout de même relativiser. L’Extrême droite fait son entrée au Parlement mais avec un seul député et un score de 1,3 %. Beaucoup de pays européens se satisferaient de ce résultat. À titre de comparaison, chez leurs voisins espagnols l’Extrême-droite est à près de 10 %. En outre, cette légère poussée de l’Extrême-droite s’explique par un recentrage de la droite. Et enfin, pour avoir une vision objective de la place de l’Extrême-droite, il faut noter qu’elle rassemble trois fois moins de suffrages que le parti animaliste.
Cap Finistère : Quels sont les principaux défis que doit maintenant relever Antonio Costa ?
Sébastien Poupon : La situation n’est pas idyllique. Il faut d’abord noter la forte abstention qui concerne surtout les classes populaires. Le niveau de vie des Portugais reste tout de même relativement bas par rapport aux autres pays européens et il n’est pas encore revenu au niveau d’avant la crise.
De plus, les services publics ont beaucoup souffert ces dernières années et des réformes devront être entreprises, en particulier dans le secteur de la santé. S’il fallait prendre une image sportive, je dirais que, comme au rugby, Antonio Costa a marqué un essai mais qu’il doit maintenant le transformer.
Article publié dans le Cap Finistère n°1287 du 8 novembre 2019