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mercredi 25 décembre
Pour un sport soutenable
Alors que les voitures, motos et camions du Dakar s’élançaient sur les pistes d’Arabie Saoudite, Régis Juanico publiait une Tribune pour dénoncer le choix de ce pays, par les organisateurs de ce rallye. Au-delà de cette compétition, le député de la Loire pose plus largement la question de l’éthique dans le sport et de l’importance grandissante des intérêts financiers au détriment des valeurs sportives.
 
Cap Finistère : Comment es-tu devenu l’un des spécialistes français des politiques sportives ?
Régis Juanico : Je me suis toujours intéressé au sport et à la politique. Fils d’un prof d’EPS, je suis moi-même un ancien athlète et handballeur. J’ai été à plusieurs reprises rapporteur du budget des sports à l’Assemblée nationale et j’ai publié des rapports sur le sport et la santé, le sport à l’école ou sur la nécessaire solidarité entre sport amateur et professionnel.
Cap Finistère : Depuis des années, les pays du Golfe investissent dans le sport. Pourquoi as-tu dénoncé le Dakar en Arabie Saoudite ?
Régis Juanico : Oui, depuis plusieurs années les pays du Golfe développent une politique qui consiste à acheter les droits sportifs et à organiser des compétitions. On peut appeler ça du soft power, moi je préfère parler de la politique du carnet de chèque.
L’achat du Dakar par l’Arabie Saoudite n’est, en effet, que le dernier épisode d’une longue liste de scandales. Je rappellerai les mondiaux d’athlétisme au Qatar où les athlètes ont été obligés de concourir dans des conditions climatiques mettant en danger leur santé.
Les ONG dénoncent régulièrement les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers des grandes infrastructures sportives dans les pays du Golfe. Selon elles, 3 000 d’entre eux, essentiellement des Népalais et des Indiens, ont déjà trouvé la mort sur ces chantiers. Dans ma Tribune, j’ai rappelé l’affaire Jamal Khashoggi, du nom de ce journaliste assassiné dans les locaux du consulat saoudien en Turquie, mais aussi la guerre au Yémen dont on parle peu mais qui a déjà fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de dizaines de milliers de réfugiés. Et il faut aussi répéter que l’Arabie Saoudite pratique la peine de mort et a procédé à 180 exécutions l’an dernier.
En outre, il existe un véritable risque d’accaparement des grandes compétitions sportives par des intérêts financiers. Les pays d’Amérique du Sud n’ont pas pu s‘aligner sur les offres saoudiennes. Le seul critère serait alors le retour sur investissements qui ne fait jamais bon ménage avec les valeurs du sport.
Cap Finistère : La Coupe du monde de football pourrait-elle ne pas se tenir au Qatar ?
Régis Juanico : Il existe de graves soupçons sur la manière dont elle a été attribuée et des enquêtes, menées par le parquet national financier, sont en cours. À cela s’ajoutent des questions liées au respect des droits de l’Homme ou des valeurs sportives comme l’universalité, la tolérance ou l’égalité femmes/hommes. Personne n’est dupe : le sport sert de caution pour redorer l’image de ces pays. On peut même parler de sport-washing. 
Cependant, alors qu’elle a été attribuée, il me semble difficile de revenir sur cette décision, sauf cas de force majeure. Je ne crois pas au boycott qui n’a jamais fonctionné. Ni dans la dictature argentine en 78, ni pendant la guerre froide pour les Jeux Olympiques.
Cap Finistère : Alors, comment pourrait-on préserver le sport des influences politiques et géostratégiques ?
Régis Juanico : D’abord, il faut en parler, notamment en publiant des Tribunes et soutenir les ONG.
Ensuite, il me semble que la solution ne peut venir que de l’Union européenne. Sûrement pas d’un seul pays. Avec ses 500 millions d’habitants, l’UE peut imposer ses critères. Cela passe par des cahiers des charges très stricts sur les critères environnementaux ou sociaux.
À cet égard, les fédérations doivent prendre en exemple le comité international olympique qui a mis en place un cahier des charges pour les Jeux Olympiques et Paralympiques. Il faut aller vers des jeux soutenables dans des pays qui ne nécessitent pas de nouvelles infrastructures et qui respectent les droits élémentaires, comme pour Paris 2024. 
J’ajoute que cette politique du carnet de chèque à des répercussions sur l’ensemble des sports puisque certains pays, compte tenu de l’inflation des droits de diffusion, ne peuvent même plus postuler pour organiser des épreuves.
 
Article publié dans le Cap Finistère n°1297 du 31 janvier 2020
 



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