Il faut fixer un taux d’imposition européen sur les sociétés, unique et surtout effectif, insiste Aurore Lalucq, députée européenne qui vient d’être désignée coordinatrice du groupe Socialist & Democrats au sein de la sous-commission Affaires fiscales du Parlement européen.
Cap Finistère : En quoi consiste ton rôle de coordinatrice ?
Aurore Lalucq : Cette commission avait été mise en place, de manière temporaire, à la suite de plusieurs scandales financiers et fiscaux. Après une longue bataille pour qu’elle perdure, la commission a accepté de la pérenniser ce qui peut déjà être considéré comme une première victoire. Mon rôle consiste à coordonner le travail de cette commission mais aussi à impulser des débats sur certains sujets, comme la justice fiscale. Il y a une telle érosion du consentement à l’impôt que nous savons que nous allons avoir beaucoup de travail. Mais il doit être effectué, car justice fiscale et justice sociale sont intimement liées. Un seul principe guidera mon action : chacun, ménage ou entreprise, doit payer l’impôt qu’il doit en fonction de ses revenus. On constate que, pour les multinationales, il est très difficile de percevoir l’impôt. Et souvent grâce à l’inaction des États. Mais c’est un combat qui doit être mené car, l’évitement de l’impôt conduit toujours à abîmer notre modèle social.
Cap Finistère : Toutes les délégations socialistes sont-elles sur la même longueur d’onde sur les questions fiscales ?
Aurore Lalucq : Oui, le groupe des sociaux- démocrates a toujours été pionnier dans le combat pour la justice fiscale, y compris dans des pays qui ont fait de leur politique fiscale un argument pour attirer des investisseurs étrangers. Je pense notamment à mon collègue néerlandais Paul Tang qui a pris des positions très courageuses dans son pays. Chaque État cherche à développer ses propres niches. Comme la Belgique qui attire de nombreux tournages de films grâce à ses exonérations fiscales ciblées. Mais chacun se rend bien compte que cette concurrence ne peut pas durer.
Cap Finistère : Aujourd’hui, à combien peut-on évaluer le montant de la fraude fiscale en Europe ?
Aurore Lalucq : C’est toujours difficile de répondre précisément à cette question puisque, par définition, ces sommes sont cachées. Cependant, tous les spécialistes s’accordent pour l’estimer à environ 1 000 milliards d’euros pour l’Union européenne, ce qui est considérable. Pour la France, les estimations oscillent entre 80 et 100 milliards. Il s’agit d’argent qui échappe à l’impôt mais aussi d’argent sale blanchi.
Cap Finistère : Sens-tu, du côté de la commission, une volonté de mettre en place un taux minimum effectif d’imposition ?
Aurore Lalucq : Comme je le disais au début, la pérennisation de la commission est déjà un signe. Mais la commission n’est pas le seul acteur à intervenir sur cette question même si elle a un rôle important à jouer, notamment pour supprimer la règle de l’unanimité qui bloque toute avancée fiscale depuis des décennies. Ursula Van der Leyen s’y était engagée lorsqu’elle s’est présentée à la présidence.
Nous sentons une prise de conscience internationale, notamment avec l’élection de Jo Biden. Même l’OCDE rappelle que l’impôt doit être acquitté là où les entreprises réalisent leur chiffre d’affaire.
Cependant, les États aussi doivent prendre leurs responsabilités, car on a souvent vu la commission mener des enquêtes sur des groupes internationaux qui pratiquent « l’optimisation fiscale » et donner des éléments aux États. Mais ensuite, les administrations fiscales ne font rien. Je pense notamment à la France, avec Mac Donald, ou à l’Irlande qui a refusé de demander aux multinationales implantées sur son territoire de s’acquitter de leurs impôts.
Il faut donc mettre en place un taux d’impôt, sur les sociétés, commun aux pays de l’Union mais surtout, et j’insiste beaucoup sur ce terme, effectif. En effet, entre les taux annoncés et les sommes prélevées, il peut y avoir d’énormes différences avec le jeu des niches fiscales. Les grandes entreprises ont les moyens de se payer les services de spécialistes en optimisation fiscale pour éviter de payer ce qu’elles doivent. Si l’Europe venait à décider, enfin, de ce taux commun, qui pourrait, par exemple, se situer à 18 %, il faudrait être certains qu’aucune entreprise ne puisse y échapper.
Article publié dans le Cap Finistère n°1342 du 12 février 2021
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