Préparons l’alternance
« Le pouvoir ne donne pas d’idées, il donne des moyens pour les appliquer ». En citant cette phrase de Paul Guimard, Jean-Jacques Urvoas a invité les socialistes, réunis le 8 décembre en Conseil fédéral à Carhaix, à mettre à profit la période dans laquelle ils sont dans l’opposition pour affiner leur réflexion, en particulier sur les questions institutionnelles.
Entre 2012 et 2017, on a assisté à de graves dysfonctionnements, faute de ne pas avoir élaboré une doctrine précise en la matière et ne pas avoir fixé un cadre clair dans la prise de décision entre l’Élysée, Matignon, le Parlement et la rue de Solférino.
L’ancien Garde des sceaux, a d’abord rassuré les socialistes qui pouvaient craindre que, de toutes façons, les institutions de la Ve République n’étaient pas faites pour eux et qu’accepter de gouverner dans le cadre de ces institutions revenait, automatiquement à trahir la gauche. « Les institutions sont ce que les hommes en font et si la Ve République a bien été conçue sur mesure pour le général de Gaulle, très vite, elle s’est transformée et démocratisée. » D’ailleurs, s’il revenait aujourd’hui, le créateur de la Ve République ne reconnaîtrait pas son enfant qui a été modifiée à 24 reprises. Le Conseil constitutionnel, conçu comme un conseil politique, est devenu un Tribunal constitutionnel et le Parlement a vu ses pouvoirs s’accroître considérablement, alors que le texte originel visait plutôt à l’étouffer.
« Quel rôle doit jouer le PS lorsqu’un des siens est à l’Élysée ? »
Alors, quels débats, les socialistes doivent-ils trancher ? Quel rôle, lorsqu’un des siens est à l’Élysée, doit jouer le Parti Socialiste ? Être plus actif que sous le dernier quinquennat ne sera pas trop difficile tant le PS a été totalement transparent. Or, dans les autres grandes démocraties, le parti du premier ministre ou de la chancelière est un lieu de débat et de décision. On vient d’en avoir l’illustration avec le congrès de la CDU qui vient de désigner le successeur d’Angela Merkel.
Durant le quinquennat de François Hollande, le PS n’est jamais intervenu pour affirmer son point de vue. Les premiers ministres ont été désignés par le président sans que les adhérents ne s’expriment.
Ensuite, comment organiser les relations entre le gouvernement et sa majorité. Les ministres ont trop souvent tendance à considérer le Parlement comme un mal nécessaire tandis que les députés se plaignent de ne pas être écoutés par le gouvernement. Il faut donc mettre en place les mécanismes de régulation permettant d’éviter les frondes.
Le groupe majoritaire à l’Assemblée, aussi, a un rôle à jouer pour éviter les crispations et les dysfonctionnements qui risquent de se transformer en frondes.
Cette réflexion institutionnelle au sein du PS s’avère d’autant plus nécessaire que le mouvement des gilets jaunes avance des revendications qui touchent à l’exercice même du pouvoir. Et dans ces temps difficiles, il faut que le PS soit utile et apportent des éléments de réflexion capables d’apaiser les controverses.
Retour sur l’année 2012
C’est le regard d’un acteur de premier plan du quinquennat de François Hollande qu’a apporté Bernard Poignant devant le Conseil fédéral qui s’est tenu le 8 décembre à Carhaix, consacré justement aux leçons que les socialistes doivent tirer de leur passage au pouvoir. En effet, Bernard Poignant qui « accompagne François Hollande depuis 35 ans » était un de ses conseillers à l’Élysée, entre 2012 et 2017.
Mais c’est sur les premiers mois du quinquennat que Bernard Poignant s’est concentré car tout le reste en découle. Dès l’élection de François Hollande, un débat s’engage pour savoir s’il faut, ou non, expliquer aux Français que la situation économique dans laquelle Nicolas Sarkozy a laissé le pays est plus grave que ce que pensait l’équipe de campagne de François Hollande. Cet épisode est confirmé par Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État à ce moment. Finalement, François Hollande, compte tenu des tensions économiques et financières qui règnent à cette période en Europe, décide de ne pas dramatiser car il faut que la France garde la confiance des électeurs mais aussi des marchés financiers. Les Français avaient été soulagés que Nicolas Sarkozy ne puisse pas mettre en oeuvre le programme qu’il avait présenté, à savoir l’organisation de référendums sur le chômage et les étrangers.
L’économie française ne se porte pas bien en 2012 et c’est sur sa compétitivité que le gouvernement a décidé d’agir. Toute la politique économique et sociale des gouvernements qui vont se succéder découle de ce diagnostic, comme la création du CICE ou la réforme du marché du travail.
Il est facile, après coup, d’expliquer qu’il aurait fallu faire ceci ou cela. Mais il faut, pour comprendre le quinquennat, se rappeler comment et pourquoi les décisions ont été prises.
Article publié dans le Cap Finistère n°1252 du 21 décembre 2018