Dans une tribune publiée dans le Monde, Tristan Foveau et Arnaud Platel portent un jugement sévère sur le projet de loi « 4D ». Publiée avant les élections régionales et départementales, cette tribune prend une nouvelle dimension compte tenu du niveau particulièrement élevé d’abstention. « Lors de la conférence nationale des territoires en juillet 2017 comme à l’occasion de son discours de Quimper en juin 2018, le président de la République avait appelé de ses vœux à « repenser en profondeur l’interaction entre l’Etat et les collectivités » afin de redonner « aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité partagée. « Une révision de la Constitution devait initialement « faciliter ces évolutions et libérer les énergies » en instaurant notamment un « droit à la différenciation ». Inscrit dans un projet de loi constitutionnelle de mai 2018, ce nouveau droit devait autoriser les collectivités territoriales à déroger aux règles nationales lorsque leurs réalités locales l’exigent, ouvrant ainsi la voie à une reconnaissance par l’Etat d’espaces de vie différenciés sur le territoire national. Après un retrait de la révision constitutionnelle en août 2019, l’article 1er du projet de loi 4D livre désormais une définition simpliste de la différenciation (« les règles relatives à l’attribution des compétences et à leur exercice, applicables à une catégorie des collectivités territoriales, peuvent être différenciées dans le respect du principe d’égalité »). De plus, il lui offre un champ d’action minimal comme la fixation du nombre d’élus au conseil d’administration des centres communaux et intercommunaux d’action sociale ou la facturation de redevances d’occupation pour travaux. Enfin, le projet avait pour ambition de clarifier les compétences des collectivités et d’ajouter de la souplesse dans leur exercice : les 83 articles du projet sont malheureusement un fourre-tout d’exigences d’associations d’élus et de réformes non abouties du quinquennat. Cet inventaire de mesures techniques ne repensera en rien l’interaction entre l’Etat et les collectivités territoriales, préalable à une réconciliation entre les citoyens et leur administration. Les enjeux sont pourtant loin d’être négligeables. D’abord, plus qu’un progrès technique, l’approfondissement de la décentralisation est une avancée politique qui répond à la méfiance croissante des citoyens envers la démocratie et à leur demande de proximité de l’action publique. Or, qui mieux que les territoires et leurs représentants pour connaître les préoccupations spécifiques de leurs habitants ? Ensuite, plus qu’un calcul politicien, la décentralisation est une question d’efficacité. La crise sanitaire a donné à voir les défauts de la rigidité administrative de notre pays. Or, qui mieux que les territoires pour connaître les carences locales en matière de soins et les besoins des entreprises ? Le texte du gouvernement ne répond à aucune de ces considérations. Pire : en prétendant remédier à ce « mal français » qu’est le mille-feuille territorial, il donne à ce dernier un arrière-goût de crumble, entre émiettement de mesures sans vision globale et amoncellement de compétences. Bien loin d’un « pacte girondin » digne de ce nom qui, pour être pleinement ambitieux, aurait d’abord dû faire l’objet d’une révision de notre Constitution. Toutefois, puisque le pouvoir exécutif n’a pas jugé pertinent de modifier notre loi fondamentale pour amorcer ce changement, il revient aux parlementaires qui examinent actuellement le projet de loi 4D d’être à la hauteur des enjeux. Par exemple, au-delà du simple rôle accordé à la région en matière de « coordination et d’animation de l’économie circulaire » et d’« organisateur de la transition énergétique au plan local », celle-ci pourrait se voir transférer une compétence pleine et entière en matière de politique énergétique. De même, concernant la santé, il convient de ne pas se contenter de « renforcer le rôle des élus locaux dans la gouvernance des agences régionales de santé » (ARS). Alors que la crise sanitaire a mis en lumière les rigidités administratives de l’Etat sur ce sujet, une vraie décentralisation de la politique sanitaire est nécessaire. A ce propos, en lien avec les départements compétents sur l’action sociale, les régions pourraient se voir confier le pilotage des orientations des ARS. Enfin, il est temps d’organiser la véritable autonomie financière des collectivités territoriales. Prévue par l’article 72-2 de la Constitution, elle n’est effectivement assurée que par le seul prisme de la « compensation financière » et à un degré encore largement insuffisant au regard des difficultés actuelles de ces collectivités. Sans cette autonomie, et alors que la suppression progressive de la taxe d’habitation et la baisse de la dotation globale de fonctionnement accordée aux collectivités grèvent le budget de celles-ci, tout transfert de compétences sera vain. Repenser les liens entre l’Etat et les collectivités nécessite donc un plan plus ambitieux. Il en va du rétablissement de la confiance entre ces deux échelles mais aussi entre les citoyens et leurs responsables politiques, tant il est reproché à ceux-ci d’être éloignés des réalités de terrain. »
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