Nous sommes arrivé au bout d’un processus de « décentralisation rationalisée » dont les objectifs étaient plus économiques que politiques. Il est temps d’engager un nouvel acte de la décentralisation, au moins aussi puissant que celui de 1982 estime Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, chercheur au CEVIPOF, qui vient de publier, à la Documentation française « Quel avenir pour les maires ? »
Cap Finistère : En quoi la crise sanitaire impose, selon vous, une remise à plat de la décentralisation ?
Luc Rouban : Le confinement et la crise sanitaire ont été des accélérateurs, des catalyseurs d’une crise bien plus ancienne que le mouvement des gilets jaunes avait déjà révélée. La question qui se pose est : les maires sont-ils des élus autonomes, ou sont-ils des agents de l’Etat. Elus, certes mais devant exécuter des ordres provenant des préfectures ou des ministères ? Toute l’histoire des maires, depuis le XIIe siècle se résume à ce dilemme, qu’il s’agisse du pouvoir seigneurial, monarchique, impérial ou républicain. Or, depuis les années 90, on assiste à une forme de « décentralisation rationalisée » qui vise à réaliser des économies budgétaires et à créer des structures toujours plus grandes et qui abouti à affaiblir considérablement le pouvoir des maires. La loi NOTRe avec les métropoles illustrant bien cette ambition de favoriser les grands centres urbains et d’en faire des modèles.
Cap Finistère : Comment redonner du souffle à la démocratie communale ?
Luc Rouban : Il faut d’abord se féliciter de la bonne santé de la démocratie communale. J’en veux pour preuve les dernières municipales qui ont été marquées par une dénationalisation des enjeux et des débats municipaux. Depuis 1983, les élections municipales, dans les grandes villes, étaient devenues des sondages grandeur nature pour ou contre le pouvoir en place. Les maires étaient des personnages politiques nationaux et les partis politiques puisaient dans ce « vivier » pour trouver des candidats aux législatives, notamment. Il y avait une sorte de cursus honorum qui passait obligatoirement par le case mairie.
En mars et juin dernier nous avons assisté à une relocalisation des débats avec une montée en puissance des thèmes environnementaux mais aussi la multiplication des « listes citoyennes ».
Nous sommes face à un paradoxe : les communes les plus importantes (plus de 30 000 habitants) disposent de moyens importants pour organiser la démocratie participative mais une grande partie de la population reste à l’écart. En revanche la vie démocratique est bien plus riche dans les communes rurales, qui elles, manquent cruellement de moyens et sont confrontées à des habitants qui ont de plus en plus tendance à se comporter comme des consommateurs plutôt que comme des citoyens.
Mais la démocratie locale fonctionne globalement mieux dans les petites communes que dans les grandes.
Pour redonner du souffle il faudrait donc faire de la pédagogies pour améliorer la culture politique des citoyens et en particulier en direction des plus jeunes car on constate une vraie fracture générationnelle.
Je sais bien que je vais à l’encontre du discours qui consiste, depuis 25 ans, à dire qu’il y a trop de communes et qu’il faut tout miser sur les métropoles. Mais, là encore, la crise sanitaire nous rappelle que les trop fortes concentrations urbaines posent de vrais problèmes.
Je suis un défenseur des petites communes. Pour qu’elles ne soient pas totalement vampirisées par les intercommunalités et qu’elles puissent disposer de moyens qui leur permettent de mener à bien leurs projets, je suis favorable aux fusions avec des maires délégués qui peuvent rester des interlocuteurs pour les administrés, « à portée d’engueulades des électrices et des électeurs » selon la formule consacrée.
Cap Finistère : Pensez-vous que le projet de loi 3D pourra relancer la décentralisation ?
Luc Rouban : Si on en croit les propos de la ministre Jacqueline Gourault, il me semble que ce projet de loi est déjà enterré avant d’avoir été présenté au parlement. L’ensemble des associations d’élus avaient fait part de leur opposition devant un texte qui, au lieu de clarifier, complexifiait encore les choses.
Il ne resterai, au mieux, que la possibilité d’engager des expérimentations sans qu’il soit ensuite nécessaire de les généraliser sur l’ensemble du territoire.
Je ne pense pas que ce gouvernement soit en capacité d’engager la profonde réforme de la décentralisation dont le pays a besoin. Il faudra attendre une nouvelle majorité capable d’impulser un mouvement aussi fort que celui de 1982 qui puisse à la fois simplifier et clarifier les compétences et les prérogatives de chacun mais aussi réaliser la réforme de la fiscalité locale qui donne aux maires les moyens de mener à bien leurs projets.
Article publié dans le Cap Finistère n°1329 du 23 octobre 2020
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