Quelques rues portent encore le nom de Jules Guesde. On peut même trouver une statue de lui devant la mairie de Roubaix dont il fut le député. Mais il incarne une figure négative de la gauche, régulièrement opposée à celle de Jean Jaurès. Cependant, s’il a pu commettre des erreurs, il n’en reste pas moins l’un des fondateurs du socialisme français nous explique son biographe Jean-Numa Ducange, Professeur des universités en histoire contemporaine à l’université de Rouen, auteur de Jules Guesde. L’anti-Jaurès ? (Armand Colin)
Cap Finistère : D’abord, pouvez-vous nous rappeler pourquoi Jules Guesde occupe une place si importante dans l’histoire de la gauche ?
Jean-Numa Ducange : A la fin du 19e et au début du 20e, Jules Guesde jouait un rôle aussi important que Jean Jaurès à gauche. Comme le député de Carmaux, il pouvait être détesté par certains mais aussi admiré par d’autres. De nombreux militants et élus, comme le premier maire socialiste de Lille, Gustave Delory, se revendiquaient « guesdistes » au début du 20e. Mais il est vrai qu’il est tombé dans l’oubli, surtout à partir des années 60 et 70. Il est devenu une figure négative dont le nom a souvent été associé au sectarisme ou à l’antisémitisme. Cependant, sans Guesde, il n’y aurait pas eu de Parti Socialiste en 1905.
En effet, Jaurès s’est allié avec lui pour fonder la SFIO au congrès du Globe. Il l’a fait pour des raisons de formes et de fond. Il considérait que le marxisme qu’incarnait Guesde représentait un des courants socialistes, et par ailleurs, sur la forme, Guesde était très puissant dans la galaxie socialiste, notamment dans la fédération du Nord qu’il a construite.
Il demeure, donc, quoi qu’il en soit, un personnage incontournable dans l’histoire du socialisme.
D’abord parce qu’il est considéré comme un des fondateurs du premier parti ouvrier structuré en France, en 1879, à l’occasion de ce qu’on a appelé « l’immortel congrès » de Marseille.
Ensuite, à la suite de ce congrès et afin d’élaborer le programme du nouveau parti, Jules Guesde a rencontré Karl Marx et c’est donc lui qui a introduit et popularisé le marxisme en France en développant dans le vocabulaire des concepts comme lutte des classes, plus-value ou exploitation. Ce sont des éléments qui comptent dans la mythologie socialiste. Par ailleurs, Jules Guesde a entretenu des relations suivies avec les socialistes belges et surtout allemands, ce qui lui donnait une stature européenne.
A cela il faut ajouter qu’il fut député du Nord, de la circonscription de Roubaix Wattrelos, de 1893 à 1898 et de 1906 à sa mort en 1922. Le Nord était son bastion. Mais, comme l’ont montré les interventions du colloque qui vient de se tenir à l’occasion du 100e anniversaire de sa mort, l’implantation des Guesdistes était très inégale sur le territoire. A part le Nord, ils n’étaient vraiment présents que dans quelques centres industriels de la banlieue parisienne, de l’Aube ou du Var, par exemple. Les Guesdistes étaient très peu présents en Bretagne.
Cap Finistère : Comment alors expliquez-vous que vous soyez le seul historien à lui avoir consacré une biographie en 2017 ?
Jean-Numa Ducange : Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a eu quelques textes mais plus hagiographiques qu’historiques. Il est vrai que je suis le premier historien à avoir publié une biographie. Et c’est d’autant plus surprenant que nous disposons d’un fond d’archives très important. Jules Guesde est une figure négative pour une partie de la gauche et logiquement, les historiens s’intéressent plutôt aux figures positives, et travaillent sur des personnalités pour lesquelles ils ont de l’empathie.
D’où vient cette image négative ? En partie de son positionnement pendant l’affaire Dreyfus. Au début, il est pourtant un dreyfusard convaincu. Mais il change d’avis et considère que, dans la perspective de la création d’un parti ouvrier, il ne fallait pas se mêler de cette affaire qui concernait un bourgeois, qui plus est, militaire. Dans le contexte de l’époque, alors que la CGT était dominée par les anarcho-syndicalistes, il a préféré ne pas se couper d’une certaine radicalité politique. Les archives nous montrent que Guesde n’était pas antisémite. Je me base, notamment sur les comptes-rendus de la police pour l’affirmer. Mais il est vrai, que certains guesdistes avaient des préjugés contre les juifs, comme une large partie de la population à l’époque.
Ensuite, Jules Guesde participa à l’union sacrée et devint ministre en 1914. En plus, en 1920 au congrès de Tours, il choisit de rester à la SFIO. Donc, les communistes, qui auraient pu entretenir la mémoire de celui qui avait introduit le marxisme en France, ne cherchent pas vraiment non plus à entretenir trop vivement sa mémoire.
Cap Finistère : Le colloque qui s’est tenu le 21 septembre peut-il, selon vous, relancer l’intérêt pour cette personnalité ?
Jean-Numa Ducange : C’est possible. A un moment où la gauche cherche à reconquérir les classes populaires et où les partis sont décriés, il n’est sans doute pas inutile de revenir aux sources et de s’intéresser à celui qui contribua à créer le premier parti ouvrier en France.
Article publié dans le Cap Finistère n°1407 du 7 octobre 2022
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