Le 20 septembre, la plateforme de livraison de repas Deliveroo, ainsi que trois de ses anciens dirigeants, ont été renvoyés en correctionnelle pour des faits de travail dissimulé.
Le parquet soupçonne l’entreprise d’avoir « recouru à des milliers de travailleurs sous un prétendu
statut indépendant, via des contrats commerciaux, alors que ceux-ci étaient placés dans un lien de subordination juridique permanente à son égard, comme l’avait constaté l’inspection du travail dans un procès-verbal de décembre 2017 ».
C’est un coup très fort porté à l’ubérisation du travail, qui précarise les travailleurs et fragilise notre système de protection sociale. Le Parti Socialiste, qui mène ce combat contre l’ubérisation, depuis plusieurs années, se félicite de cette décision qui va dans le sens des évolutions observées en Europe. Ainsi, après l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, les Pays-Bas se sont à leur tour distingués, un tribunal du district d’Amsterdam ayant considéré, le 13 septembre dernier, que les chauffeurs de l’entreprise Uber ne devaient pas être considérés comme des indépendants, mais comme des salariés.
« Nous refusons la création d’un tiers statut et demandons que soit instituée une présomption de salariat. »
Alors qu’en France le gouvernement se refuse à toute évolution et continue de préférer la protection de l’écosystème des plateformes à celle des travailleurs, le Parti Socialiste réaffirme sa détermination à lutter contre l’indépendance fictive et demande la requalification en salariés de ces travailleurs. Nous refusons la création d’un tiers statut et demandons que soit instituée une présomption de salariat. Ce ne serait ainsi plus aux travailleurs de prouver devant la justice qu’ils sont subordonnés, mais aux plateformes de démontrer que les travailleurs auxquels elles recourent sont bel et bien des indépendants. Défendue par les sénateurs socialistes dans une proposition de loi, cette solution a depuis été validée par un rapport parlementaire
européen de l’eurodéputée LREM, Sylvie Brunet, et mise en œuvre en Espagne par le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez.
Une fois de plus, alors que la justice tranche au cas par cas en faveur des livreurs et des chauffeurs ubérisés, nous exigeons du gouvernement qu’il agisse et légifère pour définir un cadre commun protecteur des travailleurs et du droit du travail. En utilisant le système des actions de groupe, les travailleurs pourraient saisir collectivement la Justice. Le sénateur Olivier Jacquin a déposé une proposition de loi dans ce sens. De plus, il devient urgent d’organiser la représentation des travailleurs. Il n’est plus possible de laisser cette question à la « bonne volonté » des plateformes qui expliquent qu’elles organisent en interne des concertations avec leurs salariés et qu’elles offrent des conditions de travail satisfaisantes à leurs « collaborateurs ».
Une situation inquiétante
Les socialistes ont placé la lutte contre l’ubérisation du travail au cœur de leur réflexion pour le projet qu’ils viennent d’adopter à Villeurbanne. À l’occasion du deuxième Live du projet précisément consacré à l’emploi, Stéphane Vernac, professeur de droit privé à l’Université de Saint-Étienne, était intervenu pour
replacer ce phénomène dans un contexte plus large d’évolution du management.
« La situation inquiétante », avait-il prévenu. « Le développement des plateformes exacerbe des transformations du monde du travail, à l’œuvre depuis déjà plusieurs années, à au moins trois niveaux. »
D’abord, on constate une déshumanisation du travail. Mais c’est un mouvement plus profond de perte de sens et de souffrance au travail accompagné de faibles rémunérations.
Le travail permet moins de coopérations, moins d’innovation et l’algorithme en est l’illustration la plus extrême. Le chauffeur ou le livreur a, dans le monde des plateformes, une activité totalement
dictée par les algorithmes. Il n’a aucune espèce de marge de liberté dans l’exercice de son activité. « On voit bien que le travail sort de l’individu qui devient une machine au service d’une autre machine. » Cette situation poussée à l’extrême avec les algorithmes pourrait, à court terme, concerner d’autres travailleurs.
« Le deuxième mouvement est la précarisation du travail, c’est-à-dire l’essor de travailleurs sans statut, du travail sans emploi. » L’auto-entreprise, crée par la loi de 2008 en est le symbole le plus flagrant. Il s’agit, ni plus ni moins, d’un système social et fiscal sans aucune garantie, sans aucune protection et le législateur avait même ajouté une présomption pour dire que les auto-entrepreneurs n’étaient surtout pas des salariés.
« Le troisième mouvement, c’est l’extériorisation du travail. »
Les entreprises n’ont eu de cesse, depuis 40 ans, de faire sortir la main-d’œuvre de leur périmètre juridique. « On pense bien sûr à la sous-traitance ou au travail temporaire. On voit, depuis les années 90, des groupes de sociétés qui se créent avec des filiales qui n’ont aucun pouvoir et des sociétés-mères qui décident de tout mais ne sont pas les employeurs des salariés. Nous sommes dans un mouvement où les vrais détenteurs du pouvoir n’ont pas les mêmes responsabilités et c’est le cas, justement, des plateformes qui n’ont aucune responsabilité aujourd’hui », dénonçait Stéphane Vernac.
Article publié dans le Cap Finistère n°1368 du 1e octobre 2021
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