Répondre au défi du jihadisme
Dans le Finistère, la DGSI a procédé à l’interpellation de sept personnes soupçonnées de préparer des attentats ou de vouloir se rendre vers la zone irako-syrienne. Dans « Le jihadisme français » (Gallimard), Hugo Micheron décrypte les ressorts de cette idéologie qui n’a pas disparu avec l’échec du Califat.
Cap Finistère : Comment avez-vous pu rencontrer les jihadistes que vous décrivez dans votre livre ?
Hugo Micheron : J’ai mené mon étude sur trois terrains d’observation. Comme l’indique le sous-titre de mon livre : quartiers, Syrie, prisons. En 2015, j’ai obtenu des autorisations pour rencontrer des jihadistes, de Daech ou Al-Qaïda, détenus dans des prisons françaises. Je les ai rencontrés, hors de la présence de surveillants, pour des entretiens individuels plus poussés au cours desquels ils m’expliquaient leurs trajectoires personnelles, intellectuelles et religieuses. Je me suis également rendu sur les zones de conflit, au Moyen-Orient, ainsi que dans certains quartiers de Toulouse, de région parisienne ou à Molenbeek, dans la banlieue de Bruxelles. J’ai pu y rencontrer des travailleurs sociaux pour comprendre pourquoi des quartiers, très similaires sociologiquement, pouvaient être totalement épargnés par le jihadisme ou, au contraire, envoyer des dizaines de combattants au Levant.
Cap Finistère : Y a-t-il une spécificité des jihadistes français ?
Hugo Micheron : Le phénomène que je décris touche en fait une grande partie de l’Europe de l’Ouest. On peut tout de même trouver des spécificités françaises. D’abord, par l’ampleur du phénomène, puisque 2000 Français sont impliqués dans le jihadisme, soit 40 % des effectifs européens. Ensuite, par la violence des attaques qui ont frappées notre pays. Enfin, la France est considérée, par les jihadistes, comme le fer de lance idéologique de l’Occident. La république laïque, le contrat social français représentent tout ce qu’ils détestent. D’ailleurs, il est ressorti des entretiens que j’ai mené, que les terroristes avaient sous-estimé la solidité du tissu social français et son attachement à la République. Ils pensaient vraiment que les attentats de 2015 fractureraient la société française.
Cap Finistère : À leurs yeux, la France est aussi le pays de la guerre d’Algérie.
Hugo Micheron : Absolument et on assiste à un véritable révisionnisme de la part des jihadistes qui tentent de faire passer une guerre de libération nationale pour une guerre religieuse. Les jihadistes doivent inventer l’après Daech. C’est pour cette raison qu’ils imaginent de nouvelles stratégies et l’une d’entre elle consiste à élargir leur base et à créer des espaces dans lesquels ils pourront recruter de nouveaux combattants. La récupération de la mémoire de la guerre d’Algérie peut leur être utile. Cap Finistère : Pourquoi la prison est-elle « l’Ena du jihad » ? Hugo Micheron : Pendant des années les sociologues ont repris les travaux de Michel Foucault (Surveiller et punir) sur la prison qui était considérée comme un espace clos où rien ne se passe, où le temps s’arrête et surtout où les détenus n’ont aucun contact entre eux ou avec le monde extérieur. Or, ce qui se passe dans les prisons en 2020 est bien différent de ce qui se passait en 1975 et on peut même dire que la détention constitue, pour les jihadistes, un terrain d’action où ils peuvent se former et recruter, même s’ils sont étroitement surveillés. L’administration pénitentiaire sait repérer les profils les plus dangereux mais des idéologues savent aussi déjouer leurs grilles d’évaluation.
Cap Finistère : L’idée d’une possible déradicalisation est donc un leurre ?
Hugo Micheron : Je sais très bien ce qu’est un jihadiste, mais je ne sais pas ce qu’est un radicalisé. Avec cette notion, on simplifie un phénomène qui est bien plus complexe. On laisse entendre que les personnes incarcérées auraient succombées à une crise de folie passagère. Or, il n’en est rien et je pense que le défi du jihadisme est devant nous car cette idéologie s’est construite patiemment, à basse intensité, depuis au moins vingt ans.
Cap Finistère : Alors quelle attitude devons-nous adopter, collectivement, face au jihadisme ?
Hugo Micheron : La démocratie française a tout connu : des guerres, des crises sociales et politiques très sévères et elle y a survécu. Je pense que nous pouvons nous hisser à la hauteur des enjeux mais pour cela nous devons aborder ce défi de façon dépassionnée, en évitant à la fois le déni et l’hystérisation. La réponse au défi jihadiste ne peut pas être uniquement sécuritaire. C’est sans doute la dimension où nous sommes le plus efficace, mais ça ne suffira pas. Il est essentiel que les partis, les associations et l’ensemble des citoyens prennent la mesure du phénomène.
Article publié dans le Cap Finistère n°1299 du 14 février 2020