Résister à la commercialisation de l’école
Après la période du confinement, l’école publique est la cible d’une violente offensive idéologique, alerte Rodrigo Arenas, coprésident national de la FCPE.
Cap Finistère : Quel jugement portezvous sur la manière dont s’est déroulée la rentrée scolaire ?
Rodrigo Arenas : Cette année, encore, le ministre de l’Éducation nationale a invité les organisations de parents d’élèves pour échanger avec elles, alors qu’il avait, la veille, annoncé les modalités de la rentrée. Ce manque de considération illustre bien la manière dont il considère les membres de la communauté éducative. Pourtant, nous aurions voulu lui faire part de notre désaccord, en particulier en ce qui concerne la prise en charge des masques pour les élèves. L’État se défausse sur les collectivités territoriales et les parents ce qui entraîne une inégalité de traitement. Toutes les familles ne savent pas qu’il faut régulièrement changer les masques. C’est précisément le rôle de l’école de faire de l’éducation et pas simplement de l’instruction. En période d’épidémie, elle doit transmettre les bonnes pratiques pour se protéger les uns les autres. Mais le plus grave c’est que cette rentrée est surtout marquée par une forte offensive idéologique de la part des tenants de la commercialisation de l’école. Je parle bien de commercialisation et pas de privatisation. La question du choix de l’école, pour des raisons confessionnelles ou pédagogiques, a été réglée par la loi de 1905. La commercialisation consiste à considérer les élèves et leurs parents comme des clients. Et ce mouvement est soutenu par le ministère de l’Éducation nationale. Par exemple, on trouve de plus en plus de papetiers qui prennent contact, au mépris de la loi, avec les directeurs, les chefs d’établissement ou les parents pour leur vendre les fournitures scolaires en accordant des contreparties aux établissements. On est dans des logiques purement commerciales. Ce sont des techniques marketing extrêmement agressives auxquelles le ministère ne résiste pas. Le phénomène n’est pas nouveau mais il s’est accentué cet été avec les vacances apprenantes. Le ministère a labélisé des enseignes de la grande distribution et des maisons d’édition. Une application se met en place en direction des enseignants en sciences économiques, payée par Véolia, labélisée elle aussi par le ministère de l’Éducation nationale. On est en train de livrer des espaces qui étaient protégés moralement, éthiquement, parfois même légalement, à des intérêts privés.
Cap Finistère : Comment endiguer cette offensive ?
Rodrigo Arenas : On peut déjà regarder les exemples étrangers. Je suis d’origine chilienne et j’ai vu ce qui arrive lorsque les principes ultralibéraux de l’école de Chicago sont appliqués à un système éducatif. Ensuite, il est urgent de rassembler, au-delà des courants partisans, toutes celles et tous ceux qui ont à cœur de défendre une conception universaliste de l’école. Nous ne sommes pas impuissants. Mais on est coincés. C’est précisément parce qu’ils ont le sens de l’intérêt général que les enseignants, les parents et certains élus locaux ont permis à l’école de continuer à fonctionner pendant le confinement. Il faut s’appuyer sur cette démocratie scolaire et sur cette intelligence collective. Si l’éducation est nationale, la gestion, établissement par établissement, dans le cadre d’un projet éducatif partagé peut être la solution d’avenir. Mais il faut, face aux attaques contre les valeurs que doit porter l’école, qui sont la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité, dont Jean-Michel Blanquer a une conception très personnelle, que les partis et les élu.es se mobilisent. C’est pourquoi nous avons lancé un appel pour que les collectivités locales exigent la prise en charge des masques par l’État. Il faut aussi que les partis s’appuient vraiment sur la société civile puisque nous sommes sources d’analyses et de propositions. Nous ne devons plus être considérés comme une caution. Il est urgent de rassembler toutes celles et ceux qui défendent le pacte républicain, c’est-à-dire qui refusent d’organiser les inégalités comme c’est le cas aujourd’hui, qui organisent la coopération au niveau de l’école, qui revient à faire vivre la notion de fraternité, qui défendent la liberté, donc qui refusent que les GAFA interviennent dans l’Éducation nationale en choisissant les établissements qu’ils acceptent d’équiper. Deux options s’opposent. D’un côté la défense de l’intérêt général avec des organisations collectives. De l’autre la promotion de l’individualisation et l’atomisation des intérêts. Jean-Michel Blanquer ne discute pas avec les représentants de la communauté éducative. Il s’adresse à l’opinion pour expliquer que le business c’est mieux que le service public. Et la crise sanitaire a accéléré ce processus du chacun pour soi.
Article publié dans le Cap Finistère 1324 du 18 septembre 2020