Alors que va s’engager la campagne des élections législatives, quel bilan tirer de la 15e législature ? Le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas pu être tiré à l’occasion de la Présidentielle, mais sa majorité à l’Assemblée aura du mal à éviter de présenter le sien.
Dans une note publiée par « le club des juristes », Jean-Jacques Urvoas revient longuement sur cette législature qui marque une vraie rupture par rapport à l’évolution générale sous la Ve République. « Elle restera comme celle de l’effacement consenti de l’Assemblée nationale. »
Le régime mis en place par le général de Gaulle en 1958 n’a jamais été parlementaire. Au contraire serait-on tenté de dire, tant la Ve République prend le contre-pied de la IVe en faisant du président de la République la clé de voûte de la Constitution. L’abaissement du Parlement était quasiment la marque de fabrique de la Ve République.
« Par la suite, les successeurs du général de Gaulle ne se départirent pas de cette méfiance presque systématique à l’égard du Parlement, le confinant dans une modeste fonction de contrepoids », rappelle l’ancien Garde des Sceaux.
Heureusement, la vision dépréciative née de la pratique de la IVe République s’éloignant des révisions permirent insensiblement à l’Assemblée nationale et au Sénat de recouvrer quelques prérogatives initialement effacées. C’est ainsi, comme l’avait souligné Laurent Fabius devant les étudiants de l’UBO le 11 mars dernier (voir Cap Finistère n°1386), que la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 permit à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61. Celle du 4 août 1995 instaura une session parlementaire unique de neuf mois et créa une séance réservée à un ordre du jour fixé par chaque assemblée (art. 48) ou encore celle du 22 février 1996 qui confia aux Chambres la responsabilité de voter le budget social de la nation (art. 47-1).
« Puis », rajoute Jean-Jacques Urvoas, « en 2008, à l’initiative de Nicolas Sarkozy une vaste réécriture de 47 des 108 articles de la Constitution fut conduite aux fins de rééquilibrer les institutions par un accroissement des attributions des assemblées. Une capacité accrue de contrôle ou d’obligation de consultation, une plus grande liberté d’organisation interne,
des assouplissements de l’encadrement du travail législatif furent ainsi introduits. »
Or, en 2017, Emmanuel Macron a brutalement rompu avec cette tendance. « Sans jamais
réellement maquiller ses intentions, le Président aura systématiquement organisé le contournement des assemblées, cherchant en permanence à les vider de leur substance législative et les privant constamment de toute capacité de contrôle », déplore Jean-Jacques Urvoas.
Au nom de la rapidité et de l’efficacité, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de limiter le rôle du Parlement et en particulier de l’Assemblée nationale qui n’a ni légiféré, ni contrôlé l’action de l’exécutif. Et il faut bien reconnaître que les membres de la majorité ont, dans l’ensemble, docilement accepté le rôle qui leur a été dévolu. Sauf les 45 député.e.s qui ont quitté le groupe majoritaire au cours du mandat.
La situation est si catastrophique qu’Emmanuel Macron a été obligé d’annoncer dans son programme : « la réforme institutionnelle proposée en 2017 [ayant] été bloquée par les oppositions, nous changerons de méthode avec la mise en place d’une convention transpartisane afin de moderniser nos institutions, pour plus d’efficacité et de vitalité démocratique ».
Pour Jean-Jacques Urvoas, « il faudra donc affronter la crise de confiance qui nous frappe de plein fouet en dépassant les querelles de mots pour redonner à notre régime politique l’équilibre qui aurait dû être le sien et qu’il a perdu en raison de sa présidentialisation croissante. Cela conduira inévitablement à écarter la tentation du toilettage pour revisiter “ le châtiment que la Ve République a imposé au Parlement ”. La matière est disponible, des propositions sont aussi nombreuses qu’indispensables, de multiples rapports encombrent les rayons des bibliothèques en attendant d’être relus. La plupart de ces évolutions n’imposent pas de revenir sur l’élection du président du suffrage universel et peuvent parfaitement s’inscrire dans le cadre du régime parlementaire majoritaire dont il demeure la clef de voûte. Et toutes convergent vers la nécessité, non pas de le “ rénover ” ou de le “ renforcer ” mais plus simplement de le respecter. »
Article publié dans le Cap Finistère n° 1392 du 6 mai 2022
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