Henri Weber nous a quittés le 26 avril dernier. En septembre 2016, il était intervenu à l’Université de l’engagement qui s’était tenue au parc des expositions de la Penfeld, à Brest, pour évoquer l’avenir de la social-démocratie européenne. Militant social-démocrate infatigable, il fut de tous les combats socialistes des trente dernières années.
Lorsque la polémique sur la commémoration du 50e anniversaire de Mai 68 a éclaté, nous lui avions demandé de revenir sur l’héritage de Mai que les droites ne cessent de dénoncer, mais qui représente un moment fondateur pour la gauche. Car au-delà de la question de la commémoration de ce mouvement protéiforme (universitaire, social, politique, religieux...) se jouent des enjeux idéologiques bien plus importants.
Mai 68 : un formidable mouvement d’émancipation, nous rappelait Henri Weber
Cap Finistère : Pour toi que fut Mai 68 ? Une révolte étudiante ? Un mouvement social ? Une révolution culturelle ?
Henri Weber :Mai 68 fut d’abord un formidable mouvement de libération et d’émancipation.Il faut se souvenir de ce qu’était la société française à la fin des années 60. Elle avait connu un formidable bond technologique et économique depuis la Libération, mais les rapports sociaux étaient encore marqués par des dominations fondées sur la tradition et la hiérarchie d’une France catholique et rurale.Dans les entreprises, les universités et les familles c’était le patronat de droit divin, le mandarinat ou le patriarcat qui dictaient leur loi.C’est cette contradiction que la jeunesse a fait exploser, dans toutes les institutions, pour y substituer des pouvoirs librement consentis, basés sur la démocratie. Toutes les formes de dominations s’appuyant sur les classes sociales, les groupes ethniques, le genre ou l’orientation sexuelle ont été remises en cause.Il ne faut jamais oublier, non plus, que Mai 68 s’inscrit dans un mouvement international bien plus vaste qui trouve ses origines au Japon et en Californie et qui s’est développé partout, y compris dans les pays de l’ancien bloc de l’Est.
Cap Finistère : Quels sont les enjeux idéologiques, aujourd’hui, autour de la commémoration de Mai 68 ?
Henri Weber :Pour la droite, Mai 68 est à l’origine de tous nos maux : le laxisme, la désagrégation de la famille, l’augmentation du nombre des divorces, la perte d’autorité des enseignants et j’en passe... Ce qui est totalement stupide puisque les effets de Mai 68 ont depuis longtemps été dépassés par d’autres causalités. Cette fixation s’explique aisément par le caractère universaliste et internationaliste du mouvement qui revendiquait une solidarité vis-à-vis des pays du Sud. Il prenait le contre-pied de la tradition nationaliste de repli qui est plus dans la haine des autres que dans l’amour des siens.
Cap Finistère : Peut-on dire que la victoire du 10 mai 1981 s’inscrit dans la suite de Mai 68 ?
Henri Weber :Absolument. On évoque souvent le mouvement étudiant, cependant Mai 68 c’est aussi et surtout la plus grande grève de l’histoire : 8 à 10 millions de salariés se sont mobilisés pendant six semaines pour obtenir des avancées sociales conséquentes comme l’augmentation du SMIG de 35 %, et de tous les salaires de 10 % en moyenne, la reconnaissance de la section syndicale ou, par la suite, le 1 % formation : la condition ouvrière s’est considérablement améliorée grâce à ce mouvement, qui s’inscrit dans la continuité des grandes conquêtes sociales du Front populaire ou de la Libération. Cela a nourri tous les partis de gauche et particulièrement le nouveau Parti Socialiste qui a porté ces aspirations populaires et a su les traduire en lois.C’est à nous de porter ce message et éviter la récupération politique de cet événement par le pouvoir actuel. Je ne vois d’ailleurs pas comment le gouvernement, compte tenu de son orientation libérale, peut s’inscrire dans une commémoration de Mai 68, d’autant que j’ai cru comprendre qu’Emmanuel Macron souhaite lui donner une dimension internationale. Nous devons avoir une expression autonome pour défendre les acquis de Mai 68 et regarder lucidement sa part sombre comme une certaine fascination pour la violence. Dans tout mouvement révolutionnaire ou pré-révolutionnaire qui mobilise des millions de personnes, on peut trouver des dérapages. Il s’en est dit aussi des bêtises pendant la Révolution française ! Mais cela ne doit pas occulter l’immense mouvement d’émancipations que fut Mai 68.
Cap Finistère : Peut-on parler aujourd’hui d’esprit de Mai 68 ?
Henri Weber :Oui et je pense en particulier au féminisme et au mouvement qui se développe pour la défense de l’IVG ou contre le harcèlement. L’esprit de Mai c’est une mobilisation pour plus d’égalité et de solidarité mais aussi, même si les revendications portaient sur des augmentations de salaires, pour une meilleure qualité de la vie, car « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance ». Mai 68 s’est développé dans un moment très particulier, marqué par l’arrivée dans la vie politique des babyboomers dans un contexte de décolonisation.
Article publié dans le Cap Finistère n°1310 du 30 avril 2020
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