La décennie 2010 a vu l’explosion du nombre des travailleurs des plateformes, celle de 2020 sera celle de la régulation de ce nouveau type d’emplois.
Le 25 mai, la Fondation Jean-Jaurès a organisé, un débat autour de ces enjeux essentiels pour les livreurs ou
les chauffeurs, mais plus largement pour l’ensemble du monde du travail.
« Depuis trois ans, la Fondation Jean- Jaurès a amorcé une réflexion sur le travail à l’âge du numérique », a rappelé Jérôme Giusti, co-directeur de l’Observatoire justice et sécurité de la Fondation Jean-Jaurès. Ce débat intervenait à un moment important pour les travailleurs des plateformes, quelques jours après le sommet social européen de Porto, des 7 et 8 mai, qui leur était en partie consacré mais aussi la publication, le 21 avril, d’une ordonnance censée poser les bases d’un dialogue social et quelques jours avant la présentation, au Sénat, d’une proposition de loi portée par Olivier Jacquin.
Aujourd’hui, on évalue à environ 200 000 le nombre de travailleurs concernés par ce nouveau type d’entreprises. Les livreurs ou chauffeurs se trouvent confrontés à un rapport de force original face à des entreprises qui exploitent une nouvelle matière première : les données.
Même le gouvernement voit bien qu’il n’est pas possible de les laisser seuls face à des multinationales qui les exploitent plus qu’elles ne les embauchent. Par une ordonnance, publiée le 21 avril 2021, le gouvernement prévoit d’organiser des élections à la fin de l’année 2022. Mais pour les représentants syndicaux, cette circulaire n’apporte aucune réponse à leur revendication. Elle prévoit bien d’organiser des discussions, mais sans en préciser l’objet. Les salariés des plateformes commencent à s’organiser, mais la lutte est bien trop inégale face à des entreprises qui mettent tout en œuvre pour briser les velléités d’organisation collective des travailleurs qu’elles veulent maintenir isolés.
Mais surtout, ces entreprises disposent de deux éléments essentiels : du temps et de l’argent. Elles peuvent faire durer des procédures judiciaires pendant plusieurs années. Et si les lois ne leur conviennent pas, elles peuvent se payer les services des cabinets de lobbying.
« Tout le monde est concerné par l’ubérisation, même les salariés qui peuvent penser qu’ils sont protégés dans un statut confortable », prévient Olivier Jacquin. « Si on perd cette bagarre, demain, le patron d’un employé de commerce qui attend le client ou celui du réceptionniste d’un hôtel qui a des temps de pause, pourra lui dire : désolé, je ne te paye plus pendant les temps d’attente et tu vas devenir auto-entrepreneur. Le danger est réel et la proposition de loi que j’ai déposée vise à apporter trois solutions simples et accessibles dans ce dossier si important. »
« La première consiste à permettre des requalifications en salariés par des actions de groupe. Actuellement le livreur à vélo qui est abusé en a pour trois ans au moins pour faire reconnaître en justice qu’il est « un indépendant fictif », comme l’a dit la Cour de cassation. « Nous proposons, grâce aux bénéfices de la loi Hamon en 2014 sur l’action de groupe, qu’un seul avocat puisse plaider des centaines de dossiers, dans une seule procédure, pour permettre des requalifications de masse là où le statut de salarié correspond plus à la réalité. »
La deuxième consiste à revenir sur une disposition de la loi Fillon de 2008 qui présume indépendants les auto-entrepreneurs. « Nous disons l’inverse. Nous estimons que les travailleurs des plateformes vont être présumés salariés. » Dès lors, il appartiendra aux plateformes, qui estiment faire recours à de vrais indépendants, d’aller en justice et non aux travailleurs.
Et enfin, la troisième proposition consiste à instaurer la transparence de l’algorithme, cette boîte noire, ce management 2.0 qui emmène au cyber-précariat. Des grandes plateformes sont capables de licencier un travailleur sans ressource et de le déconnecter d’un seul clic, parce qu’il aura eu trois avis négatifs d’un client, sans qu’il puisse intenter aucun recours. Les plateformes se protègent en disant, ce n’est pas nous c’est l’algorithme. « Nous proposons au Tribunal des Prud’hommes d’avoir recours à un expert, payé par la plateforme, qui a produit ce management. »
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