UE : le moment de vérité
Après plusieurs mois de discussions, la nouvelle Commission vient d’entrer en fonctions. Mais ce mandat débute sous de bien sombres auspices, comme nous l’explique le député européen Éric Andrieu.
Cap Finistère : Comment le groupe socialiste au Parlement européen aborde-t-il la nouvelle mandature ?
Éric Andrieu : Le groupe social-démocrate (Socialist and Democrats), avec 154 parlementaires, constitue la deuxième force du Parlement, après les conservateurs du PPE et devant les libéraux de Renew. Notre groupe a été renouvelé à plus de 55 %. Il a donc fallu que les nouveaux députés découvrent le Parlement et trouvent leurs marques. Nous avons également changé de président et c’est désormais Iratxe García, du PSOE espagnol, qui est à notre tête, en remplacement d’Udo Bullmann du SPD allemand. Cela est révélateur d’une évolution du rapport de force au sein du Parti des Socialistes Européens. Même si notre délégation nationale est sortie affaiblie du dernier scrutin, j’ai été élu vice-président du groupe en charge de la question du budget.
Nous avons la volonté de mettre en place les conditions d’un travail constructif et de définir une ligne politique commune à l’ensemble du groupe, composé de socialistes et de sociaux-démocrates, en lien avec les sept commissaires européens de notre sensibilité. Mais nous sommes conscients que les conservateurs et les libéraux sont en position de force : aucun de nos commissaires n’a vraiment les coudées franches et on a bien vu dans la répartition des top jobs (présidence du Parlement, de la BCE, etc.) que la droite et les libéraux sont en position de force dans les institutions de l’UE.
Cap Finistère : Le Parlement a-t-il renforcé sa légitimité en refusant certaines candidatures de commissaires ?
Éric Andrieu : Non, je ne suis pas sûr qu’on puisse le dire. Je crois que personne ne sort gagnant de cette procédure de désignations. Le mandat que nous entamons va être complexe. Les trois principaux acteurs de la politique européenne sont affaiblis. Si on regarde objectivement les choses que voit-on ? Un conseil sans ligne claire qui n’a plus les moyens de ses ambitions. Emmanuel Macron n’a pas compris la logique de la démocratie européenne. En proposant la candidature de Sylvie Goulard, qui a logiquement été refusée par le Parlement, il a abîmé son image sur la scène européenne. Mais pire, il a également fragilisé le couple franco-allemand. Et qui en profite ? Viktor Orban et ses amis !
Évidemment, dans ces conditions, la Commission ne dispose pas d’une forte légitimité puisqu’elle a été nommée par le conseil et qu’Ursula von der Leyen n’a été élue qu’avec neuf voix d’avance. Et enfin, le Parlement est explosé. Personne ne dispose de la majorité. Il faudra, par conséquent, passer des compromis permanents et nous devrons prendre garde de ne pas faire trop de concessions.
Cette situation est d’autant plus grave qu’elle intervient précisément à un moment où l’Union européenne devrait s’affirmer sur la scène internationale face à des pays comme la Chine, les États-Unis, la Russie, le Brésil qui eux, parlent d’une seule voie et envisagent l’avenir sur le très long terme avec une idée bien précise de leurs objectifs et de leurs intérêts.
Cap Finistère : Quels sont les principaux dossiers que doit traiter la nouvelle Commission ?
Éric Andrieu : La question budgétaire me paraît la plus importante et celle qui va provoquer le plus de tensions. Parce que tout en découle. L’Union européenne va devoir relever de nouveaux défis climatiques, migratoires et de défense ou de sécurité. Tout en poursuivant ses anciennes politiques, notamment agricoles ou de cohésion sociale qui représentent à elles deux environ 60 % de son budget. Or, l’Union européenne ne dispose quasiment pas de ressources propres et dépend du bon vouloir des États qui, comme on l’a vu, n’arrivent pas à s’entendre. Aujourd’hui, la participation des
États est fixée à 1 % de leur PIB. Nous estimons qu’elle devrait être, au moins, de 1,3 %. La Commission propose, pour les années à venir, 1,1 %. C’est autour de ces chiffres que vont s’engager les débats qui ne manqueront pas d’être rudes. Si nous voulons avoir les moyens de nos ambitions il est indispensable que l’Union européenne puisse disposer d’un budget conséquent. Nous allons donc nous battre pour parvenir aux 1,3 % du PIB mais aussi pour que l’Union se dote de ressources propres, notamment en taxant les multinationales qui réalisent des profits sur le territoire de l’UE. Cela permettrait, bien sûr, de financer des investissements dans les domaines de l’environnement ou de la défense, mais cela permettrait également à l’Union de ne plus être totalement dépendante des États. Les élus sociaux-démocrates sont prêts à bloquer les institutions si la Commission ne révise pas sa proposition à la hausse.
Cette bataille pour le budget sera déterminante pour l’avenir de l’UE.
Article publié dans le Cap Finistère n° 1291 du 6 décembre 2019